Jeudi 28 novembre au matin, à Paris, une centaine d’agriculteurs murent l’entrée de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), dont ils demandent la fermeture. Au même moment, à Maisons-Alfort (Val-de-Marne), d’autres font de même devant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Après les attaques contre l’Office français de la biodiversité (OFB) et ses agents, ces actions marquent le franchissement d’un cap.
Ce ne sont plus seulement les préfectures, les permanences d’élus ou les locaux des associations de protection de l’environnement qui sont pris pour cibles, mais les institutions chargées d’accompagner et de protéger les agriculteurs eux-mêmes. L’après-midi même, dans un tweet stupéfiant, la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a apporté un soutien de fait à ces actions.
La violence atteint, ces dernières semaines, des niveaux inédits. Depuis des mois, des locaux de la police de l’environnement sont pris d’assaut, investis et dégradés, des documents (plaintes, procès-verbaux, etc.) pillés et détruits, des agents menacés. Au total, l’OFB a déposé une cinquantaine de plaintes. France Nature Environnement rapporte des faits semblables et annonce avoir saisi la justice.
Sentiment d’impunité
L’escalade était prévisible. En avril 2021, après le déboulonnage des roues de la voiture de la journaliste Morgan Large, on écrivait dans Le Monde que les pouvoirs publics laissaient s’installer un dangereux sentiment de toute-puissance et d’impunité. Trois ans plus tard, c’est un agent de l’OFB qui est victime du même sabotage de son véhicule.
Cette situation est d’abord le reflet d’une compétition inédite entre la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et la Coordination rurale. Chacun fait assaut de radicalité pour séduire une base exaspérée, dans la perspective des élections des représentants des chambres d’agriculture, qui doivent se tenir en janvier 2025 et pourraient voir la domination de la FNSEA remise en cause.
Mais à cette cause conjoncturelle s’en ajoute une autre. Les formes de plus en plus extrêmes de la contestation sont aussi la conséquence du discours politique porté par les gouvernements successifs.
Au lieu d’engager les transformations nécessaires du modèle agricole dominant, le pouvoir politique n’a eu de cesse de se défausser et de reporter la responsabilité des difficultés rencontrées sur des tiers. La détresse matérielle d’une grande part du monde agricole est évidemment une situation que la société ne devrait pas tolérer, mais elle est d’abord le fruit de choix politiques qui ne sont jamais explicités et assumés.
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