Svetlana est un sourire figé sur une photographie, des dessins fixés au mur, une robe suspendue dans une armoire, une peluche perchée sur une étagère. « Tous les matins, je prie pour elle, ma fille. Tous les jours, je lui parle. Au début, il y a eu de la colère, du désespoir. Seule reste cette douleur au fond de moi. Il faut survivre », confie Marina Pak, 59 ans, à la veille des cérémonies du souvenir à Beslan, cette petite ville d’Ossétie du Nord, dans le Caucase russe, traumatisée par la prise d’otages de son école entre le 1er et le 3 septembre 2004. Parmi les 334 civils morts, 186 enfants faisaient partie des victimes, dont Svetlana, sa fille unique de 13 ans. Vingt ans après, le pire carnage survenu lors d’une prise d’otages en Russie continue de hanter les esprits.
C’était la rentrée des classes. Un rendez-vous professionnel avait empêché Marina Pak d’y assister. Depuis, les regrets la rongent. Mais, dynamique et résolue, cette mère célibataire s’accroche à la vie. Elle s’est d’abord mariée, avec un père qui avait perdu femme et enfant dans le drame. Puis, seule à nouveau, elle a adopté German, un petit orphelin devenu un grand adolescent.
« Je m’inquiète tout le temps pour lui. Svetlana, elle, je sais qu’elle est tranquille au paradis. Dieu s’occupe d’elle. J’attends juste le jour où, en haut, je la retrouverai », souffle Marina, dans la solitude et le silence de la cuisine de sa maison à Beslan. Elle partage son temps entre l’accueil dans un monastère des montagnes environnantes et l’entretien du cimetière de Beslan. « Je voudrais que ces endroits soient toujours pleins de fleurs et de couleurs », murmure encore Marina, rencontrée fin août par une chaude après-midi plongée dans cette même canicule qui avait étouffé les enfants privés d’eau par les terroristes pendant les trois jours de détention.
« Nous devons savoir la vérité »
Vingt ans après, les mères de Beslan, combatives, restent d’autant plus seules et perdues dans leur douleur qu’elles doutent de savoir un jour la vérité sur la prise d’otages. Une trentaine de Tchétchènes, hommes et femmes encagoulés et ceinturés d’explosifs, ont retenu 1 300 enfants et adultes. Après avoir tué une vingtaine d’adultes, ils ont rassemblé les otages dans le gymnase, miné les autres bâtiments et menacé de faire sauter l’école. Sans eau, les enfants en ont été réduits à boire leur urine. Au troisième jour, à 13 heures, une explosion encore non élucidée a provoqué un mouvement de panique et, au milieu des flammes, une intervention armée. Les enfants se sont retrouvés sous le feu croisé des preneurs d’otages et de l’assaut des forces russes de sécurité.
Il vous reste 69.3% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.