La peinture de Christian Sorg est bien déroutante. On en jugera en visitant l’exposition en quarante tableaux que lui consacre le centre d’art contemporain Bouvet-Ladubay à Saumur (Maine-et-Loire). Des grands formats, puissamment brossés, apparemment abstraits. Né en 1941, il est de la génération des artistes du mouvement Supports/Surfaces, qui s’interrogeaient notamment sur les éléments (toile, châssis, etc.) composant un tableau. Mais, s’il admet avoir été intéressé par leur démarche, il n’est pas sensible à leur esprit de système et suit son petit bonhomme de chemin.
Celui-ci l’a conduit il y plus de trente ans à Calaceite, en Aragon, dans la province de Teruel. « Il y a, dit-il, un avant et un après-Calaceite. » Il passe désormais une partie de l’année dans ce village considéré comme un des plus beaux d’Espagne. Le reste du temps, il vit en Bourgogne, près de Vézelay (Yonne) mais surtout des grottes d’Arcy-sur-Cure. Celles-ci ont été connues de tout temps, mais ce n’est qu’assez récemment que l’on a découvert qu’elles avaient été ornées au paléolithique. Il y a bien entendu effectué quelques pèlerinages.
Armé de ce maigre savoir, le critique se dit : « Bon sang, mais c’est bien sûr, c’est un paysagiste abstrait ! » Le terme a été forgé en 1956 par notre regretté confrère Michel Ragon (1924-2020) pour caractériser la peinture de son ami James Guitet (1925-2010), hélas un peu négligé aujourd’hui, mais qui fut un pont entre l’abstraction de l’après-guerre et la génération suivante, le travail de Claude Rutault, par exemple, ou celui issu du mouvement Supports/Surfaces. On s’empressa de ranger sous l’appellation « paysagisme abstrait » – sans leur demander leur avis – des artistes aussi différents que Joan Mitchell, Olivier Debré, Zao Wou-Ki ou Martin Barré, parmi d’autres.
Chaos géologique
Il ne s’agit pas pour eux de restituer la nature, mais de s’en inspirer, non de la transposer, mais d’évoquer l’impression qu’elle provoque. Et, devant certains tableaux de Sorg – souvent des formats horizontaux et allongés, tendus sur ces châssis que la nomenclature française des fournitures pour artistes désigne justement sous le nom de « paysage » –, c’est en effet toute l’aridité et la chaleur des terres aragonaises, le chaos géologique de la sierra du Maestrazgo, ses falaises et ses vallées, que l’on voit. Ou que l’on imagine. Devant d’autres, les combes douces et verdoyantes des premiers contreforts du nord du Morvan. Bref, un peintre abstrait, mais avec des souvenirs. Et l’on est tout content d’avoir pu le coller dans une jolie boîte avec la belle étiquette « paysagiste abstrait ». Cela jusque l’on tombe nez à nez avec un taureau.
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