Le défi a été relevé. En une année et demie, le peintre Omar Ba a réalisé quarante tableaux en travaillant d’arrache-pied sur le récit initiatique peul Kaïdara de 2 460 vers libres, collecté et retranscrit en 1968 par l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ (1901-1991).
Né à Dakar en 1977, Omar Ba, lui, est originaire de la communauté sérère par sa mère et peule par son père. Très jeune, il commence à couvrir les murs de certaines rues de la capitale sénégalaise de ses formes animées, pour son plaisir et celui des passants. Diplômé des Beaux-Arts de Dakar en 2002, l’artiste poursuit un troisième cycle universitaire aux Beaux-Arts de Genève, avant de fréquenter de 2009 à 2011 l’Ecole cantonale d’art du Valais, à Sierre (Suisse), reconnue pour ses formations dans les domaines du graphisme, de l’imprimerie et des arts visuels.
« J’ai commencé bien sûr par la lecture du texte, puis par le choix des formats des œuvres et du nombre. J’ai fait un travail de casting des personnages avant de fixer mes idées sur les supports. Bien que j’aie souvent utilisé des mélanges hybrides homme-animal dans mes créations antérieures, le récit a guidé ma démarche artistique et j’ai voulu rester dans cette cosmogonie de l’Afrique pour traduire la pensée de l’écrivain », souligne Omar Ba.
Kaïdara, dieu de l’or et de la connaissance
Kaïdara fait le récit du voyage dans un pays souterrain de trois hommes sur le chemin de la connaissance de soi et du monde, il y a fort longtemps : « C’était peu d’années après que les montagnes furent durcies, alors que les génies finissaient de creuser les rivières. » Guidés par une voix puissante et omnisciente, Hammadi, Hamtoudo et Dembourou se rendent au pays des génies-nains, où ils rencontreront Kaïdara, dieu de l’or et de la connaissance.
Des apparitions mystérieuses – animaux, plantes, êtres polymorphes – rythment leur voyage : onze figures (un caméléon, une chauve-souris, un scorpion, un scinque, une outarde, un bouc, des arbres, une mare d’eau…) s’adressent à eux dans des discours énigmatiques. Métaphore du cosmos, Kaïdara est une émanation de Guéno, dieu tout-puissant du panthéon peul. Sans dévoiler aux voyageurs les significations secrètes des mystères qu’ils ont rencontrés, Kaïdara offre à chacun trois bœufs chargés d’or, leur recommandant d’en faire bon usage. Les hommes retournent alors vers la surface de la terre.
« Je consacrerai tout mon or à quérir le pouvoir », précise Dembourou. « Je ferai de mon or un bien meilleur usage. J’accroîtrai mes biens en quantités abondantes », réplique Hamtoudo, qui ne rêve que de richesse matérielle. Hammadi, quant à lui, n’aspire qu’au savoir. Sur le chemin du retour, un seul sortira victorieux de toutes les épreuves…
Christiane Seydou, directrice de recherche honoraire au CNRS, met en avant « l’importance de ce conte dans l’histoire littéraire africaine. Je n’ai jamais entendu quoi que ce soit qui lui ressemble – ni dans les épopées, ni dans les poèmes – au cours de mes recherches en pays peul, au Mali ». Elle souligne également que l’œuvre d’Amadou Hampâté Bâ est « une composition géniale à partir d’éléments traditionnels, mais non un texte originel transmis par la tradition. Il suit le processus classique de toute “initiation”, progression pallier par pallier et rencontre d’indices ».
Pour Bérénice Geoffroy-Schneiter, critique d’art et commissaire d’expositions, « Kaïdara est un texte polysémique qui s’adresse à un public d’initiés et de non-initiés, d’enfants comme de vieillards, d’Africains comme de non-Africains. Je hasarderai cette comparaison avec L’Iliade et L’Odyssée [d’Homère], des textes universels qui transcendent leur époque et trouvent une résonance troublante avec les guerres et les exils d’aujourd’hui ».
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Daniel Templon, fondateur de la galerie du même nom, précise qu’« Omar Ba a conçu seul son exposition [sans commissaire], avec une volonté immersive grâce à du papier peint réalisé par ses soins qui couvre presque toute la totalité de la galerie. Comme une expérience visuelle et plastique. Les murs bleus succèdent aux murs peints en rouge, les petits formats aux très grands formats. Il est inutile de connaître le récit de Kaïdara pour entrer dans cet univers fait d’apparitions et de métamorphoses ».
Ciel, eau et latérite des terres africaines
Justement, on retrouve dans les œuvres le bleu et le rouge chers au peintre : ciel et eau, latérite des terres africaines, créant « un contraste frappant avec les autres couleurs utilisées, accentuant ainsi l’impact visuel et donnant de la force à mes œuvres », explique-t-il. Richesse également des techniques et matériaux utilisés : acrylique, encre, huile, stylo, Tipp-Ex et crayon sur toile ou sur papier kraft. Avec une maîtrise impressionnante des détails, des premiers plans aux fonds des tableaux.
Diane de Selliers, fondatrice de la maison d’édition du même nom, et Joséphine Barbereau, directrice générale, ont très vite écarté l’idée des masques et d’autres objets antiques de l’Afrique ancienne pour illustrer le récit initiatique, « qui auraient enfermé le texte dans le passé. Choisir un artiste africain contemporain pouvait donner un souffle nouveau en dialogue ouvert avec le conte et Omar Ba s’est imposé sans l’ombre d’une hésitation ».
Deux années de travail, pour choisir les préfaciers, leur laisser le temps d’écrire, rédiger l’appareil critique, et surtout pour que l’artiste prenne possession du texte. Puis, un jour, Omar Ba a écrit à Diane de Selliers : « Kaïdara est avec nous ! »
Enfin, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne conclut sa préface du bel ouvrage par ses mots : « On le verra en tournant les pages de ce livre ; en l’artiste Omar Ba qui a déclaré vouloir “peindre le rêve” et “traduire l’imaginaire”, la quête du Graal qu’est le chant mystique Kaïdara a trouvé son barde. »
Kaïdara, d’Amadou Hampâté Bâ et Omar Ba (volume relié sous coffret, 24,5 cm x 33 cm, 40 œuvres, 70 détails, 268 pages, prix de lancement 230 euros).
L’exposition « Kaïdara » d’Omar Ba à la galerie Templon, 28 rue du Grenier Saint-Lazare, 75003 Paris. Jusqu’au 21 décembre.
Quelques vers du récit initiatique « Kaïdara »
Je suis le symbole du pays des génies-nains
et mon secret appartient à Kaïdara,
le lointain, le bien proche Kaïdara…
Quant à toi, fils d’Adam, va ton chemin.
Vers 124 à 127
Ils marchèrent le jour, ils marchèrent la nuit, ils marchèrent
sans chercher à savoir où la route voulait les conduire.
Ils se trouvaient attirés par une force invisible et puissante.
Sans volonté aucune, ils étaient aspirés, possédés.
Vers 752 à 755
Je forme le vœu de consacrer mon or
à quêter le sens des symboles observés.
Hormis cela, je n’ai point d’autres rêves en tête.
Certains croiront que mon souhait est folie.
D’autres l’estimeront bien modeste ambition.
Pour moi-même cependant, il n’est de plus grand but
que puisse s’assigner un homme sur cette terre.
Vers 881 à 887
La lueur d’une belle aurore fendit la nuit
et illumina le levant quand Kaïdara étendit
ses ailes enluminées d’or.
Il s’éleva dans le ciel, s’envola, déchirant les airs,
laissant Hammadi pantelant, étendu sur le sol,
tout comblé de joie, de science et de sagesse.
Vers 2455 à 2460
Fin