Il est des centenaires qui tombent bien. André Breton ayant écrit en 1924 le premier Manifeste du surréalisme, le Centre Pompidou à Paris prend prétexte de la commémoration de l’événement pour consacrer au mouvement une très vaste exposition.
Prétexte parce que des raisons plus sérieuses expliquent la décision : il n’y a plus eu à Beaubourg de grande manifestation sur le sujet depuis 2002 – l’exposition s’appelait alors « La Révolution surréaliste » ; depuis cette date, les approches historiques ont été très largement renouvelées ; et la multiplication des expositions en Europe et ailleurs depuis une dizaine d’années ainsi que la constante hausse des cotes des œuvres surréalistes sur le marché de l’art ont imposé comme une évidence qu’aucune avant-garde d’autrefois n’est plus présente et admirée aujourd’hui que ce mouvement. Le Centre Pompidou étant voué à des années de fermeture pour travaux, il aurait été regrettable que l’institution parisienne soit la dernière à prendre acte de cette évolution, dans cinq ou six ans. Avec « Surréalisme », c’est désormais chose faite.
Gueules monstrueuses de Bomarzo
Et faite en grand : le long d’un parcours en spirale, treize chapitres se suivent, chacun défini par un thème (forêts, nuit…), un nom (Alice, Mélusine…)– ou une notion (rêve, érotisme, cosmos…). Dans chacun sont réunis principalement deux types d’objets : des œuvres visuelles et des écrits. Les premières sont de toutes natures matérielles : peinture, film, dessin, photo, collage, gravure, sculpture, etc. Les seconds sont à l’état de manuscrits (brouillons, lettres) ou d’imprimés (affiches, revues et livres). Ils se trouvent soit dans des vitrines, soit au mur pour ceux d’entre eux qui ont été jugés les plus importants. Cela signifie qu’une visite exhaustive excède vraisemblablement les capacités d’attention et d’endurance des visiteurs, si passionnés soient-ils, et que « Surréalisme » est donc à voir en deux ou trois fois.
Telle est sa structure générale. Avant d’en détailler les qualités, on doit cependant dire que l’exposition commence mal. Pour évoquer, paraît-il, le goût des surréalistes pour les foires et les parcs d’attractions, il a paru ingénieux de faire entrer par une porte inspirée, sans le moindre génie, des gueules monstrueuses du parc maniériste de Bomarzo et suivie d’un corridor sombre où sont placés des portraits photographiques des premiers membres du groupe, dont les noms sont à peine lisibles dans l’obscurité.
Ce couloir débouche sur une salle ronde, le centre de la spirale, où sont montrées des pages et des éditions du manifeste de 1924. Mais on ne peut les regarder sans subir, en guise de bande-son, une voix lisant des passages du manifeste. Laquelle voix est donnée pour celle de Breton, reconstituée par une intelligence artificielle. Breton avait les machines en horreur et le surréalisme n’a cessé de dénoncer la mécanisation et l’industrialisation forcenées de la nature et des hommes par la technique. La présence de ce gadget numérique trahit donc une complète méconnaissance de la pensée surréaliste.
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