
Un avion déchire fugacement le bleu du ciel. Une bombe émet un flash aveuglant et l’onde oblitère la ville entière. Puis un énorme champignon atomique s’élève. En quatre planches dessinées à la fin du premier tome de Gen d’Hiroshima, republié sous le titre de Gen aux pieds nus, Keiji Nakazawa fait basculer le destin de ses personnages.
L’apocalypse atomique est un motif récurrent du manga. Akira, récit cyberpunk que son créateur, Katsuhiro Otomo, ouvre avec une explosion qui ravage Tokyo en 1982, vient immédiatement à l’esprit. Mais Gen a ceci de particulier qu’il emprunte minutieusement au vécu de son propre créateur, né en 1939 à moins de 1,5 kilomètre de l’épicentre du bombardement et dont la famille a été décimée le 6 août 1945.
Contrairement à son récit autobiographique Ore wa mita (« je l’ai vu ») paru en 1972, Keiji Nakazawa a choisi ici de livrer son témoignage par le truchement d’un narrateur extérieur en la personne du jeune Gen Nakaoka. Le procédé lui permet ainsi de « mettre à distance les faits terribles qui collent à sa mémoire, et d’élargir la matière de ses circonstances personnelles à tout un ensemble de problèmes politiques et idéologiques qui gravitent autour du fantôme d’Hiroshima », écrit l’historien de l’art et critique Pierre Pigot dans son essai Apocalypse manga (2013, PUF). Il se fait le porte-voix des hibashukas, ainsi que l’on nomme les rescapés.
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