Le rapport à l’action, ses déterminations, sa signification ont toujours été des obsessions des grands cinéastes américains. Le cinéma de Clint Eastwood a perpétué cette relation pensive et poétique à une époque où celle-ci n’allait plus de soi, où la conscience du comportement névrotique avait compliqué ce qui, pourtant, s’était longtemps pensé comme la seule manière d’être : agir. Alors même que les rêves et les utopies s’étaient noyés dans une réalité prosaïque voire infamante, où le mythe de la frontière, constitutif de cette légende si bien exprimée par le western, s’était effondré et où les fantasmes d’antan étaient devenus dérisoires, l’auteur de Million Dollar Baby (2004) avait, dès ses premiers films, tenté de prolonger quelque chose d’un classicisme disparu avec ces fictions réparatrices que furent, par exemple, Bronco Billy (1980), Honkytonk Man (1982), Josey Wales hors-la-loi (1976), Impitoyable (1992) et tant d’autres.
L’ambiguïté qui caractérise le protagoniste central de son nouveau film, Juré n° 2, tout à la fois justicier et coupable, vient rajouter une nouvelle pierre à l’édifice un peu curieux que construit le cinéaste depuis plusieurs films. Qu’est-ce qu’un personnage de cinéma et surtout quel sens donner aujourd’hui à ce qui longtemps a constitué l’essence du héros hollywoodien ? Depuis quelques années, les films d’Eastwood s’inspirent de faits réels, détaillant les exploits d’individus transformés par le spectacle contemporain en héros. American Sniper (2014), ainsi, relate les prouesses d’un soldat tireur d’élite, Chris Kyle, qui s’est couvert de gloire durant la guerre en Irak.
Sully (2016) raconte l’histoire du pilote de ligne qui avait fait amerrir en urgence, sur l’Hudson, son appareil en difficulté, sauvant ainsi la vie de ses passagers. Le 15 h 17 pour Paris (2018) retrace l’acte de bravoure de trois touristes américains qui ont neutralisé un terroriste armé dans un train entre Bruxelles et Paris. Le Cas Richard Jewell (2019) revenait sur le sauvetage par un vigile des participants à un concert à Atlanta en 1996, menacés par un attentat durant les Jeux olympiques. Le sauveteur avait ensuite été soupçonné d’être le poseur de bombes.
Le résultat d’un récit
Alors que chaque récit aurait pu constituer une manière réconfortante de s’identifier à des personnages conscients de leurs actes et mus par leur seule volonté, les films s’acharnent à questionner l’héroïsme des protagonistes en séparant le résultat de leur action et le mécanisme qui les a déclenchés. Le tireur d’élite Chris Kyle fait-il la guerre guidé par un sentiment patriotique ou pour échapper à la réalité plus prosaïque de la vie conjugale et familiale ? Pourquoi s’obstine-t-il à vouloir régulièrement rempiler si ce n’est parce que le foyer lui est insupportable ? Le moment récurrent où Kyle retire son alliance avant de tirer, au-delà de la nécessité fonctionnelle du geste, ne dévoile-t-il pas, symboliquement une névrose plus profonde ?
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