Marie Le Blé
C’est sans doute l’une des premières choses qui m’a le plus marquée. Le silence. Big Apple, la foisonnante et bouillonnante cité aux mille lumières, s’était soudain arrêtée de faire du bruit.
– Times Square la veille du pic qui va faire de NYC la ville épicentre du pays
COVID-19 – Un ami avec qui je parlais récemment de la pandémie me disait ceci : « Tout ce qui est arrivé nous a fait voir la mort autrement. » Et d’ajouter : « On l’accepte peut-être plus facilement. » Cette approche est si personnelle que, sur le moment, j’avoue que je n’ai pas trop su quoi lui répondre. Aux États-Unis et tout particulièrement à New York où je me suis installée, il y a dix ans, c’est pourtant bien cette confrontation quotidienne avec la peur constante d’être soustraite à ce monde ou de voir s’en aller les miens qui m’a hantée pendant près de deux ans et demi.
Je n’oublierai jamais ce lundi 16 mars 2020 quand, après mûre réflexion, j’ai décidé de tourner la clé dans la serrure, mon sac photo à l’épaule, pour aller affronter, plus que l’ennemi invisible, cette espèce de monstre inconnu curieusement nommé Covid-19. Ce jour-là, j’avais choisi de témoigner, de me faire les yeux sur le terrain de celles et ceux qui n’étaient pas là pour voir et entendre à commencer par ce silence envahissant qui s’était soudain emparé de New York.

Le silence de la Grosse Pomme
C’est sans doute l’une des premières choses qui m’a le plus marquée. Le silence. Big Apple, la foisonnante et bouillonnante cité aux mille lumières, s’était soudain arrêtée de faire du bruit. Et puis, cette vision sidérante des rues et des avenues devenues désertes en l’espace d’une nuit. Quelques rares voitures roulant vers l’infini, comme prises de panique devant ce décor fantomatique, ajoutaient à la sidération du moment.
Puis, sont arrivés les cris stridents des sirènes, nuit et jour, sept jours sur sept, pendant des mois, pétrissant d’angoisse les 8 millions et demi de New-Yorkais désormais cloîtrés dans la ville de l’épicentre, triste label que la Grande Pomme a conservé depuis.
Leurs klaxons me font encore bondir aujourd’hui, me privant souvent de sommeil tant je me suis demandé et ce, des centaines de fois, qui, ces ambulances ou camions de pompiers pouvaient bien transporter et vers quelle destination. N’était-ce déjà pas trop tard pour l’homme ou la femme, ce père, cette mère, cette tante, ce beau-frère, cette sœur ou cette grand-mère qui s’y trouvaient, le visage écrasé par un masque à oxygène ? En l’absence de toute protection, de tests antigéniques ou PCR et encore moins de vaccins, termes devenus si familiers de nos jours, je me vois remercier le ciel, semaine après semaine, à peine rassurée, face à cette seule certitude que nous avions, souvenez-vous, à l’époque, sur le délai d’incubation de ce virus dévastateur qui était de cinq jours.

Une fournaise sans feu
À chaque fois que je quittais mon appartement, sans toujours pouvoir me l’expliquer, j’avais l’impression de rentrer dans une fournaise sans feu ni combustion tant New York, cité joyeuse de la fête, des rooftops et du shopping, ne ressemblait plus à elle-même.
Était-ce le fait de ne pouvoir circuler qu’en métro et à pied, bus et taxis ayant été mis à l’arrêt ? Le moindre mal de gorge ou un simple gant en plastique troué m’obligeaient, cauchemars parfois en prime, à égrainer les jours pour le meilleur ou pour le pire. Mais qu’est-ce qui pouvait arrêter mes sorties quotidiennes, à part la mort justement ou cette frousse indescriptible de me retrouver moi-même hospitalisée ? Des antécédents liés à plusieurs pneumonies ne m’auraient sans doute laissé aucune chance.
La réponse, je l’ai trouvée dans le dévouement indescriptible des personnels soignants et de tous les travailleurs essentiels. Ces « front line » comme les appellent les Américains m’ont aidé à tenir et à rester debout et ce, des mois durant. Leur force et leur courage m’ont inspirée comme cette infirmière en prière rencontrée dans une chapelle de Manhattan, à deux pas de son service, sans que nous échangions un mot. C’est aussi ce photographe, spécialisé dans l’architecture, qui me confie, un jour de juin, être devenu brancardier assigné au transport des corps dans l’un des hôpitaux les plus touchés de la City.

Comme si le fardeau n’était pas assez lourd à porter, le drame de George Floyd, suivi des flambées de violence à travers le pays, ou encore, la féroce campagne présidentielle précédant l’assaut du Capitole n’ont fait qu’aggraver la fracture d’une Amérique déjà divisée. Mais au pays de l’Oncle Sam, j’ai aussi compris que la rage de vivre et de surmonter l’impossible finissent toujours par l’emporter. À quelques jours de Noël, la ville qui ne dort jamais s’est parée de tous ses plus beaux espoirs, plus que jamais prête à tenir ses promesses, une fois encore…
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