Stephane Cardinale – Corbis / Corbis via Getty Images
À partir du 20 octobre 2023 le documentaire « Le tunnel aux pigeons », sur la vie de John le Carré est disponible sur Apple TV+.
DOCUMENTAIRE – C’est comme s’il l’avait prévu. Un an avant sa mort, John le Carré s’était confié face caméra sur sa vie et son œuvre dans le documentaire élaboré par deux de ses fils. Intitulé Le tunnel aux pigeons, le film, disponible dès ce vendredi 20 octobre sur Apple TV+, raconte la vie de l’auteur qui autrefois était un agent du MI6, les services secrets britanniques.
John le Carré assurait avoir écrit L’espion qui venait du froid alors qu’il s’ennuyait dans ses journées de diplomate à l’ambassade britannique de Bonn en Allemagne, au début des années 1960. Ce n’est que 36 ans plus tard que l’écrivain, mort à l’âge de 89 ans le 12 décembre 2020, révélera que ce poste était une couverture à son véritable travail d’espion.

Avec plus de 60 millions d’exemplaires vendus dans le monde, le romancier a écrit des classiques. Et ce n’est pas sans raison que David Cornwell, de son vrai nom, est devenu le maître du roman d’espionnage. Ayant lui-même été espion, il connaissait très bien les coulisses des services secrets et des enjeux géopolitiques qui s’y jouaient. Il a ainsi écrit sur la Guerre froide dans La Taupe (1 974) et sur le conflit israélo-palestinien dans La petite fille au tambour (1983).
Et si John le Carré, coutumier de l’autodérision, confiera un jour avoir été de toute façon un mauvais espion, reste qu’il est difficile de retracer une chronologie claire et précise de ses activités au « Cirque » – c’est ainsi qu’il surnommait le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni.
John le Carré, espion en Allemagne
C’est en 1958 qu’il aurait commencé à travailler pour les renseignements intérieurs britanniques, au MI5, période pendant laquelle il écrit son premier roman L’Appel du mort, rapporte l’AFP. Quelques années plus tard, il rejoint le MI6, les renseignements extérieurs cette fois, alors qu’il est deuxième secrétaire de l’ambassade du Royaume-Uni à Bonn, en Allemagne. C’est là qu’il publie L’Espion qui venait du froid sous son pseudonyme en 1963.

Le manuscrit avait été autorisé par les services secrets qui avaient conclu qu’il s’agissait d’une œuvre de « pure fiction du début à la fin », avait écrit John le Carré en 2013 dans le quotidien The Guardian. Mais la presse avait eu une tout autre opinion, racontait-il, décidant que ce récit n’était « pas simplement authentique, mais était une sorte de message révélateur venu de l’Autre Côté ».
La carrière de John le Carré comme agent secret est cependant rapidement ruinée par l’agent double britannique Kim Philby qui révèle au KGB la couverture de nombreux de ses compatriotes au milieu des années 1960. John le Carré/David Cornwell doit alors démissionner du MI6. Et se consacrer à l’écriture.
Auteur à succès, dont une dizaine d’ouvrages ont été adaptés au cinéma, John le Carré a toujours réussi à garder le secret sur certains pans de sa vie. Il est « l’écrivain anglais le plus secret du XXe siècle », écrivait ainsi Le Figaro.

« Je suis un menteur »
En 2019, au détour d’une querelle avec Sir Richard Dearlove, entré au MI6 en 1966 et dont il a dirigé les services de 1999 à 2004, quelques nouvelles informations sur sa carrière d’espion éclatent, relaie Ouest France.
L’ancien patron des Services de renseignement assure que John le Carré n’a été espion que « trois ans » et l’accuse de donner une vision nihiliste des services de la Couronne, « corrompus et remplis de traîtres ». Dans une tribune au vitriol publiée dans le Times, l’écrivain conteste cette durée et dévoile comment il a vécu la crise des agents doubles anglo-soviétiques. « Oui je m’y connais en trahison. J’étais sur la liste des traîtres, dont certains vivent encore à Moscou. »
Quelques années avant sa mort, John le Carré avait même engagé deux détectives dans l’idée de démarrer une autobiographie, les sommant de rassembler « un dossier » sur lui et sa famille, pour établir la vérité. Mais ils sont revenus bredouilles. Dans Le Tunnel aux pigeons : Histoires de ma vie, publié en 2016, l’écrivain dit de lui : « Je suis un menteur. Né dans le mensonge, éduqué dans le mensonge, entraîné à ça par un service qui ment pour vivre, rompu au mensonge par mon métier d’écrivain. »

Le documentaire Le tunnel aux pigeons, disponible sur AppleTV+, a été co-réalisé par Simon et Stephen Cornwell, les fils de John Le Carré, aidés du scénariste américain Errol Morris, oscarisé en 2004 pour le documentaire The Fog of War.
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