Livre. A quoi pensait Sancho Panza en cheminant sur son âne dans le sillage de Don Quichotte ? Au gîte du soir, à la façon de le payer, et aussi au salaire que devra lui verser le chevalier. Mais celui-ci est ailleurs, à la poursuite de ses rêves. Il est l’histoire, l’imagination et l’exaltation. Sancho est la contrainte de la réalité d’un monde espagnol qui bascule sous l’influence des marchands au début du XVIIe siècle. L’économie sur un âne suit l’histoire à cheval.
Dans Tout l’or du monde (Les Presses de la Cité, 272 pages, 22 euros), les pérégrinations érudites de la journaliste Anne de Guigné à travers les chefs-d’œuvre de la littérature mondiale suivent ce même fil. Chercher l’économie derrière le récit.
Au commencement, l’économie est peu de chose. Mais les paradoxes affleurent déjà. Dans la Genèse, le travail est la punition de Dieu, mais aussi « source d’épanouissement, de création et d’amélioration du monde ». Le premier économiste politique sera Joseph, fils de Jacob. Vendu par ses frères comme esclave, il devient le protégé du pharaon et fait sa fortune.
Critiques féroces
Homère, lui, déteste les marchands. Il n’est pas le seul. Cette haine traverse toute l’aventure romanesque jusqu’à nos jours. On préfère les héros désintéressés. Pourtant, dès le Moyen Age, les protagonistes du Conte du Graal et du Roman de Renart fréquentent assidûment les foires dans des villes grouillantes d’activité. Par la suite, La Fontaine (1621-1695) illustre avec gourmandise cette tension, entre la ville et la campagne, l’argent et la nature, à la fois cigale et fourmi.
Ce sont ces paradoxes qui font la chair des grands romans. Dans La Nouvelle Héloïse (1761), Rousseau voit dans Paris le symbole des dévoiements de son temps. Mais l’amour se joue des catégories et dérègle la machine quand il fait mourir de désespoir l’héroïne de son livre.
A partir du XIXe siècle, l’économie s’installe à la première place dans une société qui découvre le capitalisme. Balzac, Stendhal, Goethe, Thomas Mann ou Jane Austen racontent l’ascension des bourgeois. Libéraux en économie, conservateurs sur le reste. Balzac met en scène la mécanique infernale de la dette. Karl Marx avouait d’ailleurs avoir plus appris chez l’auteur d’Illusions perdues (1837-1843) que dans les livres des économistes. Dickens et Zola enfoncent le clou de la critique. Les écrivains du XXe siècle sont tout aussi féroces pour raconter l’exploitation de l’homme par l’homme, de Jack London, dans Martin Eden (1909), au Bûcher des vanités (1987), de Tom Wolfe, qui croque la folie de Wall Street.
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