Propos de ministres démissionnaires « culottés », voire « irresponsables », chiffres « fallacieux » : accusées par Bercy de faire dériver les comptes publics en raison de dépenses jugées excessives, les collectivités territoriales ont contre-attaqué, mardi 3 septembre, mettant en cause « la situation désastreuse » des finances de l’Etat.
Dans un courrier adressé lundi aux présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances démissionnaire, et Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics démissionnaire, ont estimé que le « risque principal » pour les comptes publics de l’année 2024 était lié à une « augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités ».
A elles seules, ces dépenses des collectivités pourraient « dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros », ce qui devrait faire encore grimper le déficit public de la France, déjà visée par une procédure européenne pour déficit excessif, selon Bercy.
« Il est surprenant que des ministres démissionnaires se permettent de porter des jugements à l’aide de chiffres complètement fallacieux », a réagi auprès de l’Agence France-Presse (AFP) André Laignel, président du comité des finances locales, qui ne comprend pas « d’où sortent les 16 milliards » évoqués par les ministres.
Dans un communiqué, l’Association des maires de France (AMF) dénonce la situation « désastreuse des comptes de l’Etat » et souligne en outre que la dette des collectivités « est stable depuis trente ans voire même en légère diminution, passant de 9 % du PIB en 1995 à 8,9 % en 2023 ». « Le gouvernement démissionnaire semble ignorer ses propres turpitudes », a renchéri l’association France urbaine, quand Intercommunalités de France voit dans le courrier ministériel une volonté « de détourner l’attention des dérapages budgétaires de l’Etat ».
« Démagogique et faux »
Les dépenses des collectivités locales ont représenté 19 % de la dépense publique en 2022, contre 40 % pour l’Etat, selon l’Insee. Mais si le déficit de l’Etat a atteint 155,7 milliards d’euros en 2023, en hausse de 7,3 milliards d’euros sur un an, le besoin de financement des collectivités, qui sont obligées de voter un budget à l’équilibre et ne peuvent recourir à l’emprunt que pour les dépenses d’investissement, a représenté 5,5 milliards, selon l’Observatoire des finances publiques locales (OFGL).
En 2023, les dépenses de fonctionnement des collectivités ont davantage progressé que les recettes, observe l’OFGL, rappelant le « contexte d’inflation marquée », tandis que les dépenses d’investissement ont augmenté de 6,7 %. En cause notamment, selon l’AMF, la « double pression des mesures de revalorisation des traitements des fonctionnaires décidées par l’Etat et de l’augmentation du coût de l’énergie et des achats courants ».
La puissante association cite également des dépenses nouvelles « que le gouvernement et le parlement ont mis[es] à la charge des collectivités » dans le domaine environnemental, celui des transports ou celui de la petite enfance. « 16 milliards, c’est un chiffre énorme. Nous sommes indignés par le fait qu’on balance des chiffres ni vérifiés ni discutés », a vertement critiqué Antoine Homé, coprésident de la commission des finances de l’AMF, jugeant le chiffre « démagogique et faux ». « On est dans une période où ce gouvernement démissionnaire devrait se retenir dans son expression publique, je suis vraiment choqué », a-t-il ajouté.
Stéphane Perrin, de Régions de France, rappelle, lui, que les régions « ont assumé seules les coûts d’inflation sur les transports publics, sur les factures d’énergie dans les lycées ainsi que la hausse des taux d’intérêt ». « Qu’on vienne nous coller la responsabilité de la dégradation des finances de la nation, c’est franchement irresponsable », tonne-t-il. D’autres comme Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France, pointent les contradictions entre « l’injonction des pouvoirs publics à investir dans la transition écologique et le reproche régulièrement adressé de trop dépenser ».
Selon l’élu, maire de Barentin (Seine-Maritime), les dépenses sont également liées aux « cycles municipaux ». « Nous consacrons en général deux ans en début de mandat à l’écriture des projets, deux ans à lancer les marchés, puis arrivent deux ans de réalisation qui constituent autant de pics d’investissement », observe-t-il.
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