C’était le week-end suivant son arrivée à Matignon, le 9 janvier. A peine nommé chef du gouvernement, Gabriel Attal, 34 ans, envoie à Kiev son ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Une rencontre est organisée entre ce dernier et le président Volodymyr Zelensky, qui lui lance : « Est-ce que les Français savent qu’ils ont un premier ministre ukrainien ? »
Au cours des huit mois passés ensuite à la tête du gouvernement, Gabriel Attal ne s’est jamais rendu en Ukraine, sorte de « domaine réservé », implicitement, à Emmanuel Macron. Mais pour son premier voyage depuis son départ – boudeur – de Matignon, c’est bien ce pays au cœur de l’actualité internationale depuis l’invasion russe qu’il a choisi comme destination en gage de sa liberté retrouvée. Alors que le Quai d’Orsay attend toujours la nomination de son ministre, M. Attal est arrivé vendredi matin 13 septembre à Kiev pour rencontrer le premier ministre, Denys Chmyhal (et peut-être Volodymyr Zelensky), et intervenir au Yes Forum, rendez-vous diplomatique annuel des libéraux du monde occidental. Il est aussi prévu qu’il pousse samedi jusqu’à la mer Noire pour une échappée plus personnelle…
A l’image du chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, Gabriel Attal est l’héritier d’une histoire ukrainienne qu’il veut explorer à Odessa en compagnie de sa mère, Marie (« Marika ») de Couriss, curieuse de découvrir elle aussi des propriétés familiales abandonnées du temps de la révolution russe. Le Monde s’est rendu sur place, grâce aux deux propriétaires des anciens biens de la famille et au biographe ukrainiens des Couriss, survoltés par ce mini « happening » politico-généalogique et ce retour aux sources du politique français…
Ogives gothiques et faux minarets
Première étape : une propriété du village de Kourisovo, à 50 kilomètres au nord d’Odessa. Des râteaux s’activent dans les allées pour donner un coup de propre avant la venue du « plus jeune premier ministre de France », puisque c’est ainsi qu’est annoncé Gabriel Attal ici – pas certain que tous sachent qu’il a quitté Matignon. Des femmes de ménage d’un lycée des environs ont été réquisitionnées pour lessiver la fresque d’héroïques ouvriers soviétiques, à l’entrée de la propriété, confisquée autrefois par les bolcheviques, comme tant d’autres appartenant à la noblesse. Devant nous, l’incroyable château Couriss, construit vers 1820 à la demande d’un aïeul de Gabriel Attal et mêlant tous les styles, des ogives gothiques aux faux minarets.
Cet aïeul, d’origine grecque, s’appelait Ivan Onufrievitch Kourisse (1762-1836). Il fut « enrôlé chez les Cosaques ralliés à l’armée régulière des tsars du général Alexandre Souvorov pour combattre les Turcs » entre 1787 et 1792, explique notre précieux guide, Viktor Mikhalchenko, 67 ans, un ancien ingénieur passionné d’histoire locale. Décoré et anobli après la bataille d’Izmaïl, un port du Danube, Ivan Onufrievitch Kourisse fut récompensé par des terres à blé autour d’Odessa et commença par y faire bâtir un manoir, transformé en 1892 en château par son petit-fils, Ivan Iraklievitch Kourisse. « Il lui fallait des pièces et des pièces pour ses collections de tableaux, dont beaucoup se trouvent aujourd’hui au Musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, et de manuscrits anciens » – Gogol, Pouchkine, et même Voltaire et Gilbert Romme, le mathématicien « montagnard » français inventeur du calendrier républicain.
Il vous reste 56.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.