Le 5 septembre 2023, Nicolas Le Blay, un élève de 15 ans, se suicidait dans sa chambre, à Poissy.
L’adolescent avait été harcelé en classe, changé d’établissement, et harcelé à nouveau.
Un an plus tard, sa mère Béatrice se confie dans Sept à Huit et s’engage pour lutter contre le harcèlement à l’école.
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Le fléau du harcèlement scolaire
Dans l’appartement de Béatrice Le Blay, les photographies de son fils unique sont partout. Il y a bientôt un an, le 5 septembre 2023, le jour de sa rentrée des classes, Nicolas se suicidait à tout juste 15 ans. À l’époque, il venait tout juste de changer d’établissement, pour ne plus côtoyer ses harceleurs. Ce jour-là, à midi, il rentre chez lui et il appelle sa mère pour lui raconter sa première matinée dans son nouveau lycée. « C’est les mêmes, maman », rapporte le jeune homme à sa mère. Béatrice est estomaquée, et a peur qu’il revive la même chose que l’année précédente.
Lorsqu’elle rentre le soir chez elle après le travail, elle retrouve le corps de son fils, pendu dans sa chambre. « À ce moment-là, je suis toute seule, c’est l’effroi, j’essaye de le détacher, je lui fais les massages cardiaques, j’appelle les pompiers, ils ont essayé de faire ce qu’ils ont pu, mais ils n’ont pas pu le ramener », raconte-t-elle à Audrey Crespo-Mara au cours de l’interview à retrouver ci-dessus.
« Il disait que tout allait bien »
En octobre 2022, un an plus tôt, ses parents apprennent qu’il se fait harceler à l’école par le biais d’une conversation. « Il m’a dit qu’il s’était fait pousser dans les escaliers par deux garçons », confie Béatrice. Le père de Nicolas prend plusieurs rendez-vous avec le professeur principal. Pour les parents, ce professeur allait en parler à l’administration et faire le nécessaire pour qu’il soit protégé, mais rien n’est fait. Fin décembre, l’adolescent se sent vraiment mal, consulte la psychologue de l’établissement, et effectue un test psycho-technique. Ce test confirme que Nicolas est lent dans son travail, et qu’il subit du harcèlement, selon ses professeurs. Il est alors victime de brimades, de vexations et d’injures répétées de deux élèves :« Ils lui disaient ‘t’es moche, t’es nul, personne ne t’aime’ et ils lui donnaient des coups ». Malgré son harcèlement manifeste, les professeurs ne l’auraient pas défendu, selon sa mère.
Je n’ai pas compris, j’ai pris ça en pleine figure, je me suis dit qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’on a loupé ? C’est pour ça qu’on a tout de suite appelé le proviseur pour prendre rendez-vous avec lui.
Je n’ai pas compris, j’ai pris ça en pleine figure, je me suis dit qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’on a loupé ? C’est pour ça qu’on a tout de suite appelé le proviseur pour prendre rendez-vous avec lui.
Béatrice Le Blay, mère de Nicolas
Le jeune adolescent souffrait que personne ne le défende, selon sa mère : « Mais ça, je l’ai su après parce qu’il me disait que tout allait bien, qu’il s’en fichait. C’était quelqu’un de très sensible, d’hypersensible, mais je ne pensais pas à ce point-là ». Fin février, Nicolas fait une tentative de suicide avec un couteau, mais elle échoue. “Je n’ai pas compris, j’ai pris ça en pleine figure, je me suis dit qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’on a loupé ? C’est pour ça qu’on a tout de suite appelé le proviseur pour prendre rendez-vous avec lui », explique Béatrice Le Blay.
Le 10 mars, les parents et Nicolas sont alors reçus par le proviseur, mais cela ne se passe pas comme prévu : « Il nous a dit ‘mais vous n’avez pas de preuves tangibles’, on ne comprenait pas pourquoi il était agressif. Nous, on venait simplement pour savoir quelles mesures il allait prendre. Quand on est sorti, on était mal à l’aise et encore plus angoissés. On s’est dit que si on n’avait pas de réponse dans les 15 jours, il fallait agir. On ne pouvait pas laisser notre fils comme ça ».
« Ils n’ont pas reconnu la souffrance de mon fils »
Cinq semaines plus tard, sans aucune nouvelle du proviseur, elle lui adresse une lettre pour faire part de son mécontentement et le menace de porter plainte : « On n’avait pas l’intention de le faire mais c’était pour qu’il réagisse et qu’il fasse le nécessaire ». Nicolas et son père ont cependant déposé une main courante pour « officialiser son harcèlement ». Le 20 avril, le proviseur répond, mais il ne reconnait pas la souffrance de Nicolas. La situation est tout de même prise au sérieux, les élèves concernés ont été convoqués avec leurs parents et l’adolescent harcelé a été reçu, mais a refusé une médiation avec ses bourreaux : “Il a eu raison, c’était trop difficile pour lui la confrontation”.
Béatrice Le Blay, désemparée, contacte le rectorat. Il lui répond, le 4 mai, dans une lettre qui va scandaliser l’opinion publique et le gouvernement à la mort de Nicolas. « Ils ne reconnaissent pas la souffrance de mon fils, ils parlent de harcèlement supposé, je trouve que c’est particulièrement odieux. Ils nous reprochent même nos réactions et nous menacent de porter plainte, en mentionnant l’article du code pénal qui punit les dénonciations calomnieuses« . L’état du jeune homme se dégrade : « Il connaissait par cœur tous les cas de suicides des deux dernières années », raconte sa mère.
A l’annonce de sa mort et à la lecture de la lettre du rectorat, la Première ministre, Elisabeth Borne, parle de défaillance, Gabriel Attal, ministre de l’Éducation parle lui, de « honte ». Béatrice Le Blay rencontre alors Gabriel Attal et Brigitte Macron : « Ça m’a soulagée, ça m’a fait du bien qu’enfin, nous puissions être reconnus dans cette souffrance, mais j’aurais aimé que ça soit avant qu’il s’en aille ». Gabriel Attal avait ordonné une enquête administrative et avait demandé une procédure disciplinaire à l’encontre de la rectrice. Depuis, le directeur des ressources humaines du rectorat à l’origine du courrier a quitté ses fonctions, la rectrice n’est plus en poste et pour les élèves désignés comme harceleurs, l’enquête judiciaire est toujours en cours. Un an après, Béatrice se dit « orpheline de son garçon ».
Jeudi prochain, le 5 septembre, elle organise une marche blanche à Poissy : « Pour lui, pour tous ces enfants qui sont harcelés, pour redonner du courage aux parents qui ont vécu les mêmes souffrances que moi, pour dire qu’il faut continuer le combat ». « Si je peux être un fer de lance, apporter ma petite pierre à l’édifice alors, je suis là et venez tous avec moi », conclut-elle.