Professeure d’histoire contemporaine à l’université de Nantes, Jenny Raflik travaille notamment sur l’histoire des relations internationales et l’histoire politique de la France. Elle est l’autrice de La République moderne. La IVe République, 1946-1958 (Le Seuil, 2018) et de La IVe République et l’Alliance atlantique (Rennes, PUR, 2013).

Alors que la crise politique que connaît la France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale a été comparée à la IVe République, vous nuancez l’idée d’échec associée à ce régime. Que voulez-vous dire ?

Il n’est pas surprenant que l’absence de majorité absolue et le tripartisme qui dominent au Palais-Bourbon aujourd’hui soient mis en parallèle avec cette période de grande instabilité gouvernementale. La simple référence à la IVe République agit encore aujourd’hui comme un repoussoir pour une partie de l’opinion et des politiques. Outre le fait qu’il est toujours délicat de comparer deux moments historiques aux cultures très différentes, il est nécessaire d’exercer une vigilance sur les lectures politiques qui ont pu être faites de cette séquence, et le rejet du parlementarisme qu’elles ont inspiré et inspirent encore.

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La plupart des historiens de la première génération qui ont travaillé sur le sujet avaient vécu la chute du régime en 1958 et ont donc étudié la période à partir de son échec, en cherchant à l’expliquer. Cet angle de l’échec a longtemps été mis en avant dans les programmes d’histoire du secondaire, souvent très politiques. Il suffit d’une recherche sur Internet pour retrouver des fiches de révision du bac intitulées « Comment expliquer l’échec de la IVe ? ».

Je fais partie d’une nouvelle génération d’historiens qui, depuis le milieu des années 2000, contribue à d’autres lectures. L’ouverture d’archives inédites, émanant souvent de hauts fonctionnaires, a renouvelé les sources. Des chercheurs autres que politistes se sont aussi intéressés à la période. Des historiens spécialistes de l’économie, des relations internationales ou de la culture ont travaillé avec d’autres regards et tiré un bilan plus exhaustif.

Comment analysez-vous cette période ?

Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier la fragilité des majorités et l’instabilité des gouvernements de l’époque. Entre 1947 et 1958, vingt-deux gouvernements se sont succédé (auxquels on peut ajouter plusieurs remaniements), dont la durée moyenne a été de sept mois. La crise ministérielle la plus longue a duré trente-huit jours. Au total, le pays a été dirigé par des gouvernements démissionnaires durant trois cent cinquante et un jours en douze ans.

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