La réélection de Donald Trump ébranle les démocraties occidentales, d’autant plus qu’elle prend, cette fois, la forme d’une confirmation et qu’elle fait, bien sûr, écho à une vague d’extrême droite extrêmement forte lors des scrutins européens, nationaux (en Italie, en France ou aux Pays Bas) et locaux (en Allemagne, notamment).

Cette vague menace de manière évidente les fondements de notre démocratie, qui ne se réduit pas au simple moment de l’élection, mais plus profondément à la possibilité d’un débat apaisé et éclairé, d’une information libre, d’une tolérance de l’ensemble des opinions, du respect des droits humains fondamentaux et des minorités, du respect de la différence, du rejet de la xénophobie, de l’idéal d’une conception globale et humaniste des problèmes socio-économiques (au-delà du cadre strict des intérêts immédiats des « nationaux »).

Cette lente déréliction de nos démocraties fait l’objet de nombreux commentaires et enquêtes précises et documentées sur les raisons conjoncturelles, et personnelles, du vote d’extrême droite ; sur la forme que prend concrètement cette emprise progressive (depuis les slogans électoraux ciblés sur des communautés en matière de genre, d’âge, de territoire, jusqu’à l’influence des médias et des réseaux sociaux mis au service de l’extrême droite (Murdoch puis Musk aux Etats-Unis, Bolloré en France).

Comprendre comment l’« impossible » avait pu avoir lieu

Ces descriptions n’enlèvent cependant rien à la stupeur – à la sidération, même – des commentateurs et analystes devant ces succès répétés et qui semblent inexorables. Comment Donald Trump a-t-il pu réussir un tel exploit électoral, presque sans rien dire, au fond, de son programme ? Pour quelles raisons y a-t-il eu tant de pertes de voix du côté démocrate ? Pourquoi l’extrême droite progresse-t-elle partout ?

« C’est la réalité d’une société de marché que l’on perçoit dans le totalitarisme », explique Karl Polanyi (Essais, Le Seuil, 2002), et cette expression saisissante est, selon nous, éclairante. Polanyi a vécu l’effondrement de la brillante société austro-hongroise, férue de démocratie, de liberté et, dans les années 1930, au firmament intellectuel (Freud, Popper, Einstein…). Juif, contraint à fuir son pays d’origine, il mit dès lors toute son énergie à comprendre comment l’« impossible » avait pu avoir lieu aussi rapidement.

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Son diagnostic est clair et exprimé de manière lapidaire : le totalitarisme est l’effet ultime d’un libéralisme économique débridé dont la dynamique naît avec la première révolution industrielle. Polanyi pensait, en 1944, que l’expérience de cette épouvantable machine guerrière et génocidaire allait nous servir définitivement de garde-fou contre le mythe délétère d’une économie qui se désencastrerait de la société, prétendant lui dicter sa loi, la prétendue loi de l’offre et de la demande. Il a eu tort sur ce point.

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