Les images ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux dans la soirée du 1er septembre. On y voit un homme affaissé, le corps criblé de balles à bord d’une voiture blanche. Il vient d’être abattu alors qu’il sortait de l’académie navale de Tripoli (Libye), dans ce qui s’apparente à un règlement de comptes entre milices. Rapidement, l’homme est identifié comme étant Abd Al-Rahman Al-Milad, surnommé « Bija », ancien commandant des gardes-côtes de Zaouïa, ville située à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Tripoli.
Avec la disparition de « Bija » se referme un des chapitres les moins glorieux de la crise migratoire en Méditerranée et des relations peu avouables entre la Libye et l’Italie ces dernières années. Le 2 février 2017, le premier ministre, Faïez Sarraj, chef du « gouvernement d’accord national », signe à Rome un mémorandum aux côtés du chef du gouvernement italien Paolo Gentiloni. L’objectif est d’aider la Libye à refouler les migrants, en lui donnant des moyens maritimes notamment. Les gardes-côtes libyens bénéficieront de l’expertise italienne. Sans cet accord, « Bija » n’aurait peut-être pas connu pareil destin.
Trafiquant notoire de migrants, enrichi grâce notamment à la contrebande de pétrole, « Bija » est associé à la triste réalité des camps de rétention libyens, dont les réfugiés qui ont pu gagner les côtes italiennes racontent l’enfer. Très peu d’images ont circulé de lui, dont la biographie officielle le fait naître à Tripoli en 1986.
« Une mort annoncée »
« C’est la chronique d’une mort annoncée, ses liens criminels l’exposaient, il restera un homme qui gardait de nombreux secrets », raconte au Monde Nello Scavo, qui a révélé dans les colonnes du quotidien Avvenire les affaires peu reluisantes du Libyen avec l’Italie. En 2019, ce journaliste sicilien publie une enquête sur la venue secrète en Italie deux ans plus tôt d’une mission libyenne dans un centre d’accueil à Mineo, situé dans la province de Catane.
Au sein de la délégation figure « Bija », et certains réfugiés le reconnaissent avec effroi, connaissant sa brutalité. En septembre 2016, il avait été filmé, en uniforme, en train de battre des migrants à l’aide d’une amarre, alors que ces derniers se trouvaient entassés dans une embarcation pneumatique de fortune en haute mer.
S’intéresser de près à la « mafia libyenne » va coûter cher à Nello Scavo : il a reçu des menaces de morts et vit depuis sous protection policière. « Bija » lui-même a tenté d’intimider le journaliste dans une conversation interceptée par les services de renseignement italiens. « Il se faisait appeler le dernier des “révolutionnaires”, faisant preuve d’une assurance qui mériterait d’être étudiée par un psy », écrit Scavo dans un livre consacré à ces enquêtes, Le mani sulla Guardia costiera (« main basse sur la garde côtière », 2024, Chiarelettere, non traduit).
Il vous reste 46.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.