Le neurobiologiste Jean-Didier Vincent, né le 7 juin 1935 à Libourne, en Gironde, est mort le 4 décembre, à 89 ans, à Paris. Avec lui disparaît une figure importante et originale de la vie scientifique et intellectuelle française des dernières décennies.
Sa singularité principale aura été de mener, successivement ou parallèlement, plusieurs registres d’activité habituellement séparés. Médecin devenu chercheur en neurobiologie, il a mis en route des recherches inédites et contribué à des découvertes scientifiques notables en biochimie du cerveau. Mais il s’est consacré également à la gestion de la recherche et à quantité de tâches institutionnelles, tout en rédigeant une série d’essais et de livres de vulgarisation qui l’ont fait connaître du grand public, à commencer par Biologie des passions (Odile Jacob, 1986). Mêlant de manière unique la rigueur scientifique et l’humour, le sens du concret et celui de la provocation, ce Bordelais amateur de bonne chère et de grands crus était tout sauf un savant austère et pisse-froid.
Son éducation protestante au collège de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), puis ses études au lycée Michel-Montaigne à Bordeaux l’avaient initialement orienté vers les Lettres et la préparation du concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure. Mais c’est finalement à l’Ecole du service de santé des armées de Bordeaux que sa famille l’incita à suivre des études de médecine, au cours desquelles il découvrit peu à peu, auprès du neuropsychiatre Jacques Faure, le chemin qui allait devenir sien, celui de la « neurobiologie des comportements ».
Jean-Didier Vincent biologiste, mais vivant
Travaux sur les liens entre les hormones et le système nerveux
Ses travaux, poursuivis notamment à la faculté de médecine de Bordeaux, au Brain Research Institute de l’université de Californie à Los Angeles, puis à l’Institut Alfred-Fessard du CNRS à Gif-sur-Yvette (Essonne) qu’il dirigera de 1992 à 2002, portent sur les relations entre les hormones et le système nerveux. Que nous ayons faim, soif, sommeil ou envie de faire l’amour dépend essentiellement des régulations endocriniennes de notre organisme et de leurs effets sur nos comportements à travers une série d’interactions complexes entre nos cellules et nos hormones. En mettant en lumière certains de ces mécanismes fondamentaux, à la fois organiques et psychiques, Jean-Didier Vincent a éclairé de manière inédite les soubassements neurobiologiques de nos sentiments.
C’est ce que fit découvrir à un large public son premier livre à succès, Biologie des passions : nos amours sont affaire d’hormones, nos désirs dépendent de leurs excès ou de leur déficit. Cette vision de notre vie sentimentale et sexuelle aurait pu conduire le chercheur à une conception mécaniste, réductionniste, rigidement déterministe de notre existence. Le sens de la nuance, la vigilance envers la complexité du réel qui animaient l’auteur lui ont épargné ces crispations. Jean-Didier Vincent était attentif à la multidimensionnalité de la vie humaine, et de la vie du cerveau en particulier. « Le cerveau, c’est le cri de la chair », affirmait-il, s’opposant radicalement à la conception désincarnée d’un cerveau-ordinateur, machine computationnelle, coupée du corps vivant et des autres organes.
Plaisir
C’est pourquoi il savait demeurer attentif aux limites des explications que lui-même présentait. Plus sceptique que dogmatique, plus humaniste que pontifiant, ce digne héritier de Montaigne aimait provoquer parfois, démystifier souvent, polémiquer au besoin, mais n’assénait jamais de vérités inébranlables.
Membre de l’Académie des sciences, de l’Académie de médecine, de l’Institut universitaire de France et de quantité de sociétés savantes, couvert de distinctions et d’honneurs multiples, lauréat de nombreux prix, l’homme restait simple, chaleureux, convivial et même souvent jovial. Dans la vingtaine de livres qu’il a publiés, le plaisir, du sexe ou de la table, se taille la part du lion, depuis Casanova, la contagion du plaisir (Odile Jacob, 1990, prix Blaise-Pascal) jusqu’à Biologie du couple (Robert Laffont, 2015), en passant par Le Sexe expliqué à ma fille (Seuil, 2010). Son évocation fervente de la personnalité d’Elisée Reclus, géographe, anarchiste, écologiste (Robert Laffont) lui avait valu le prix Femina essai en 2010.
Finalement, le scientifique a retrouvé ainsi son premier tropisme vers les lettres. Il a su le concilier également avec le débat d’idées, le sens de la pédagogie et la célébration de la vie. L’ensemble est assez rare pour qu’on s’en souvienne.