Au pied du mont Ventoux, la rencontre improbable des genres. D’un côté du studio, le trio à cordes de musique baroque Anpapié (Alice Piérot au violon, Fanny Paccoud à l’alto et Elena Andreyev au violoncelle) enchaîne des pizzicatos sur ses cordiers. De l’autre, Arthur H alterne borborygmes musicaux et chant récitatif. En face, côte à côte, le compositeur Loïc Guénin et son instrumentarium – synthétiseurs et percussions en tout genre –, et son complice du groupe Noorg, Eric Brochard, lequel transforme tout cela en boucles sonores électroacoustiques.
L’Hiraeth (« En gallois, glisse Loïc Guénin, cela évoque la nostalgie d’un lieu qu’on ne pourra jamais revoir »), c’est le nom de cette pièce d’un peu plus d’une heure qu’il a composée avec un livret signé Arthur H et que la petite troupe défriche. Nous sommes à Sault, à 850 mètres d’altitude, à un peu plus d’une heure d’Avignon, dans l’ancienne école du village transformée en lieu d’expérimentation musicale, de création et de diffusion, le Milieu, dont on a célébré, le 15 septembre, avec édiles et flonflons l’ouverture officielle. Par la fenêtre on observe les brumes du matin qui se défont doucement.
Chorale du collège
En 2001, l’été où Loïc Guénin a débarqué dans le pays, son capes de prof de musique sous le bras, cherchant, dans cette académie d’Aix-Marseille qu’il ne connaissait pas, un lieu où il ferait bon vivre et travailler, il a été conquis par ce village surplombant les champs de lavande et de petit épeautre, défiant les vents et la modernité : « Une vibration qui m’a complètement fauché. Tellurique. Nature sauvage… », s’enthousiasme-t-il encore un quart de siècle après.
Loïc Guénin était allé frapper à la porte du collège – six classes, à peine cent vingt élèves – où on l’avait regardé avec des yeux ronds : « On n’a pas de professeur de musique. Mais sûr que, si vous le demandez, le poste, té, vous l’aurez », lui avait-on répondu avé l’accent. Il a 48 ans aujourd’hui et, à Sault, il est connu comme le loup blanc – les deux tiers des 1 340 habitants du bourg ont été soit dans sa classe, soit parents d’élèves.
L’homme accueille, volubile, bondissant, un bonnet sur la tête, le pantalon glissé dans les chaussettes, une quasi-marque de fabrique. Il a toujours été remuant. Au collège de Sault, Loïc Guénin commence par acheter du matériel, des instruments, puis il monte une « chorale » – où on ne fait pas que chanter, on joue aussi.
Très rapidement, il invite des artistes (Lê Quan Ninh, Jeanne Added, Patrick Vaillant, Lucia Regio…) puis ils viennent en résidence, donnent des concerts. L’hiver est rude à Sault et, une fois partis les cars de Japonais amateurs de lavande et les cyclistes néerlandais grimpeurs du Ventoux, c’est vide. C’est dans ces moments de vérité que la machine Loïc Guénin entre en action. Jusqu’à créer Sons dessus de Sault, festival de musique expérimentale qui, malgré ses choix musicaux exigeants, va avoir de plus en plus de succès.
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