LETTRE D’ISTANBUL
Des parents inquiets qui ne parlent qu’à mots couverts, des directions d’écoles muettes, deux ministères des affaires étrangères en Allemagne et en France qui préfèrent garder le silence, de peur de contrarier encore un peu plus Ankara : depuis la décision brutale, annoncée au cœur de l’été, par le ministre de l’éducation nationale turc, Yusuf Tekin, d’interdire toute nouvelle inscription d’élève turc ou binational dans les deux écoles françaises et les trois établissements allemands du pays, la communauté enseignante étrangère et ses tutelles donnent, en cette veille d’ouverture des classes, un sentiment, troublant, de malaise et d’impuissance collective.
L’objet du courroux turc ? L’exigence de « réciprocité » réitérée depuis des années par Ankara, qui demande à ouvrir des écoles de droit turc sur les sols français et allemand, à l’instar de ces cinq écoles françaises et allemandes en Turquie. Un sujet épineux qui n’a eu de cesse d’empoisonner les relations entre les capitales et sur lequel Paris et Berlin ont jusqu’à aujourd’hui opposé un refus.
En début d’année, des rumeurs relayées par la presse turque avaient évoqué l’intention des autorités de fermer purement et simplement l’accès à ces écoles aux élèves de nationalité turque. Il est rappelé que les lycées français Charles-de-Gaulle, à Ankara, et Pierre-Loti, à Istanbul, n’ont pas d’existence au regard de la loi turque. Initialement ouvertes pour les enfants de diplomates, ces écoles privées sont de fait soumises à la législation française. Or ces établissements, qui comptent quelque 2 400 élèves, accueillent aujourd’hui principalement des collégiens et lycéens turcs et binationaux, comme les écoles allemandes.
« Porte d’entrée pour les idéologies d’Erdogan »
A la suite d’un entretien avec le ministre turc, l’ambassade de France avait transmis, au printemps, un projet d’accord administratif. Des réunions et des consultations s’organisent au niveau académique et ministériel. Et puis, début juillet, le ton est subitement monté. « La partie turque nous a remis un projet d’accord allant au-delà des propositions évoquées jusqu’à présent », affirme l’ambassade française dans un courrier alors envoyé aux parents d’élèves. S’ensuit une « note verbale » des autorités turques, présentée sous forme d’ultimatum.
Indice révélateur de la persistante dégradation des relations bilatérales, les reproches publics formulés par le ministre Yusuf Tekin. Le 13 juillet, dans un entretien au journal progouvernemental Habertürk, il dénonce l’« arrogance » de la France avant de s’emporter : « Nous ne sommes pas comme les pays que vous avez colonisés. Nous sommes un Etat souverain. Si vous voulez enseigner ici, vous devez agir selon nos conditions. »
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