Ni une ni deux. On ne tourne pas autour du pot lorsqu’on rencontre la danseuse et chorégraphe argentine Marina Otero. Vite, avec la tranquillité que donne une longue fréquentation de ces questions, elle parle frontalement de souffrance psychique, d’amours toxiques, de violences conjugales. C’est tout ? Presque, tant la vie de cette femme, qui vient de fêter ses 40 ans et d’être diagnostiquée « border line », semble un puits sans fond d’émotions chahutées et de conflits irrésolus.
La table vide du bistro du Théâtre du Rond-Point, à Paris, où Marina Otero est à l’affiche jusqu’au 29 septembre, se charge d’images électriques. Teint pâle, cheveux bruns, collier de perles ras du cou sur épaules dénudées par un bustier marron glacé, l’artiste, installée à Madrid, décline pour la première fois, côte à côte, trois chapitres – Fuck Me, Love Me et Kill Me – de son projet autofictionnel. Il s’intitule Recordar para vivir (« Se souvenir pour vivre ») et « se terminera le jour de sa mort ». « C’est toute ma vie, déclare-t-elle. Je ne sais pas encore trop comment articuler ces spectacles. Je n’ai pas eu le temps de méditer dessus. Les fragments qui sont réunis ici sur seulement dix jours évoquent le passé, le présent et le futur. Et cette relation au temps m’intéresse beaucoup. »
Le calme apparent de Marina Otero est inversement proportionnel à la crudité lucide de ses confidences. Elle est née dans une famille « machiste » d’un quartier populaire de Buenos Aires : le père livre du pain dans les supermarchés ; la mère, au foyer, pratique la danse classique en amatrice. « Elle m’emmenait, et je passais des heures à la regarder, en mangeant, et en me faisant parfois pipi dessus, se souvient-elle. Cela m’a donné une relation organique et scatologique à la perfection que je voyais devant moi. »
« Violence physique »
Parallèlement, elle suit aussi des cours de ballet et de jazz de 4 à 15 ans, avant de découvrir le contemporain et sa « liberté ». « Ma recherche artistique est liée, notamment, au classique et à son cadre, que j’ai eu envie de casser. » Elle poursuit : « Il y avait beaucoup de violence physique à la maison, et la danse m’a permis de m’exprimer. Plus tard, je suis entrée dans la danse par la violence. » Elle résume en quelques mots l’atmosphère familiale. « Tout est calme et, soudain, une table se renverse. »
Cette effraction, qui réduit le psychisme en miettes, se retrouve dans ses spectacles, aussi solidement architecturés que furieusement volcaniques. Rien que leurs titres soulèvent une tempête, entre amour, haine et désir de mort enchevêtrés. Parmi les références de celle qui lit beaucoup et écrit ses textes, les cinéastes Rainer Werner Fassbinder et Jean-Luc Godard, l’écrivain Edouard Louis, les plasticiennes Louise Bourgeois et Sophie Calle, la comédienne et metteuse en scène Angélica Liddell, dont elle apprécie « la force et la maîtrise qu’elle a de son corps et de sa voix sur scène » et dont elle partage certaines obsessions, comme la douleur et la sexualité, ainsi qu’un sens offensif de l’extrême.
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