Cher Michel Barnier, souvenez-vous : vous présidiez, en 2016, un rapport sur les missions de France Stratégie. Mais, nommé négociateur du Brexit pour l’Union européenne, vous avez dû interrompre vos auditions. Je vous ai succédé au pied levé et nous avons cosigné le rapport, en mars 2017. Cet épisode m’a permis de prendre la mesure de vos talents : expérience, esprit d’indépendance, sang-froid.
D’où ma consternation lors des primaires du parti Les Républicains [LR] en 2021. Pour convaincre le noyau dur des adhérents, les cinq candidats qui briguaient l’investiture du parti pour la présidentielle de 2022 jouèrent à « plus dur que moi en politique migratoire, tu meurs ». A vous en croire, nos frontières étaient de « véritables passoires », il fallait stopper les « régularisations massives », réduire « de moitié » le nombre des étudiants étrangers.
Et cette double trouvaille : un « moratoire » sur l’immigration, un « bouclier constitutionnel » protégeant le droit national des atteintes du droit européen par la voie du référendum. Vous avez succombé à la surenchère qui a jeté LR aux portes du Rassemblement national (RN). A ce jeu, c’est toujours l’extrême droite qui gagne. Quelle sera donc votre ligne demain ?
Vous l’avez proclamé d’emblée : il faut dire la vérité aux Français. Chiche ! Cela implique d’abord de reconnaître que l’immigration n’est pour rien dans la crise budgétaire, le dérèglement climatique ou la guerre en Ukraine, et de s’en tenir aux faits.
Dois-je renvoyer l’Européen que vous êtes aux données d’Eurostat et des Nations unies ? La France n’est ni une passoire ni une forteresse. Depuis l’an 2000, la part des immigrés a augmenté de 60 % dans la population mondiale et autant sur le Vieux Continent (seule l’Europe de l’Est reste une terre d’émigration). La France a suivi ce mouvement, mais à un niveau moindre. Elle régule bien plus qu’on ne le dit.
Où sont les « régularisations massives » ?
La vérité est que, pendant la crise migratoire de 2015-2016, à l’opposé de la « submersion » dénoncée par Marine Le Pen, nous n’avons pas pris notre part dans l’accueil des exilés. Sur l’ensemble des Syriens, des Irakiens ou des Afghans qui ont réussi à déposer une demande d’asile dans l’Union européenne (UE), la France en a enregistré 5 % environ depuis 2015, alors que notre pays concentre 16 % de la population de l’UE et 18 % de son produit intérieur brut. Certes, depuis la chute de Kaboul, en août 2021, nous avons fait des efforts notables pour accueillir les Afghans. Mais c’est encore trois fois moins que l’Allemagne.
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