Dossier musique
- « L’Ecoute », sous la direction de Martin Kaltenecker : l’audition créatrice
- « Interpréter », de Theodor Adorno : le juste accord entre subjectif et objectif
- « Musicienne du silence », d’Amandine Lebarbier : la musique faite femme
« Musicienne du silence. Sainte Cécile dans la littérature et les arts au XIXe siècle », d’Amandine Lebarbier, Sorbonne Université Presses, « MusiqueS », 350 p., 32 €.
Méconnue de nos jours, sainte Cécile, la patronne des musiciens, fut de tout temps insaisissable : aucune source ne mentionne son existence historique, et sa figure est investie de symboliques changeantes. Musicienne du silence, le bel ouvrage illustré que signe Amandine Lebarbier, montre en particulier comment la sainte fut progressivement associée à la musique, alors que les premiers récits, qui remontent au Ve siècle, la présentaient simplement comme une vierge martyre.
L’autrice, docteure en littérature comparée, aborde ce paradoxe à la croisée de différentes disciplines, adoptant les méthodes de l’analyse littéraire, de l’intermédialité (étude des relations entre divers arts et médias) ou des études de genre, voire de l’hagiographie (ou histoire religieuse des saints). Si elle veut avant tout remédier au manque de recherches sur sainte Cécile, son travail questionne aussi les discours sur la musique, dans la lignée des récentes sound studies.
Elle commence par retracer la construction du mythe de sainte Cécile, du Ve au XIXe siècle. La vénération croissante, depuis la Renaissance jusqu’au romantisme allemand, pour le tableau de Raphaël L’Extase de sainte Cécile (1514-1516), d’abord. Puis la reprise de cette icône par des écrivains (dont Zola, Balzac, Verne, Dumas, Walter Scott, Theodor Fontane, George Eliot et surtout George Sand) et des peintres (tels John William Waterhouse ou Gustave Moreau), qui feront d’elle à la fois « la femme de la sublimation, à l’image de la Vierge, et la femme sage, initiatrice et muse ».
Le comportement des femmes
Telle que l’ont ainsi façonnée les discours catholiques puis romantiques, sainte Cécile, souligne Amandine Lebarbier, représente non pas tant le moment d’extase à l’écoute de la musique, mais l’« enstase » – que l’on attribue aujourd’hui plutôt à l’effet de drogues ou à la pratique du yoga : un mouvement de descente en soi-même, une rencontre entre la conscience de soi et de la transcendance.
Surtout, cette figure montre à quel point les théories esthétiques sur la musique reposent aussi sur des valeurs éthiques, régulant tout particulièrement le comportement des femmes. Amandine Lebarbier consacre sa troisième partie à la manière dont l’évocation de la sainte a « encadr[é], au double sens du terme », la pratique musicale des femmes au XIXe siècle. Les musiciennes d’alors devaient manifester autant que possible une voix céleste, en se consacrant à des instruments dits « éthérés » (tels l’orgue ou le piano), adaptés à un répertoire religieux.
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