Dans ses conférences d’introduction à la psychanalyse, écrites pendant la première guerre mondiale, Sigmund Freud raconte que l’humanité, au cours de son histoire, a subi « deux grandes vexations infligées par la science à son amour-propre ». La première, explique-t-il, date du moment où Copernic établit que « notre Terre n’est pas le centre de l’Univers, mais une parcelle infime d’un système du monde à peine représentable dans son immensité ».
La deuxième, selon lui, a eu lieu quand la biologie moderne – et Darwin au premier chef – « renvoya l’homme à sa descendance du règne animal et au caractère ineffaçable de sa nature bestiale ». Il ajoute ensuite : « Mais la troisième vexation, et la plus cuisante, la mégalomanie humaine doit la subir de la part de la recherche psychologique d’aujourd’hui, qui veut prouver au moi qu’il n’est même pas maître dans sa propre maison, mais qu’il en est réduit à des informations parcimonieuses sur ce qui se joue inconsciemment dans sa vie psychique. »
Quatre-vingt-cinq ans après la mort de Freud, et alors que l’entrée de son œuvre dans le domaine public, depuis 2010, s’est accompagnée d’une série de nouvelles traductions, ces réflexions n’ont rien perdu de leur justesse.
« Blessure narcissique »
En s’aventurant dans le monde souterrain de nos pulsions secrètes et de nos désirs refoulés, en levant le voile sur nos fantômes et nos démons intérieurs, en explorant ce mystérieux théâtre d’ombres qu’il appela l’inconscient, et en ne reculant jamais devant l’inquiétante étrangeté de sa découverte, Freud ne s’est toutefois pas contenté d’infliger à l’humanité une véritable « blessure narcissique ».
Car ce « franc-tireur incommode », selon l’expression de son ami Stefan Zweig, à la fois héritier des Lumières et de l’âge romantique, fut aussi un bâtisseur intrépide. Au point que nul ne peut aujourd’hui prétendre sonder les tréfonds de l’âme ou déchiffrer le monde sans se référer à ses concepts ou à ceux de ses héritiers.
L’œuvre de Freud, affirmait la grande critique littéraire Marthe Robert, est le « Discours de la méthode de notre temps ». C’est à cette œuvre, ainsi qu’aux controverses dont elle fit et continue de faire l’objet, qu’est consacré ce hors-série. Une œuvre tout entière placée sous le signe de la célèbre injonction que Socrate lançait à chacun de ses interlocuteurs : « Connais-toi toi-même ! »
Elisabeth Roudinesco, dans le portrait du maître viennois qu’elle nous a confié, dessine les contours d’un nouveau Freud dont les concepts éclairent le XXe siècle, quand l’universitaire américain Eli Zaretsky estime que « la psychanalyse fut bel et bien une révolution ».
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