- Les terres rares sont des métaux essentiels à la transition énergétique mais sont aussi présents dans nos ampoules et nos écrans.
- Problème : l’Europe a très peu de ressources géologiques et la Chine détient le monopole du raffinage de ces métaux.
- À l’occasion d’une expertise collective, le CNRS synthétise les connaissances scientifiques sur le sujet et explore les solutions pour réduire notre dépendance.
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Notre planète
Une demande qui double tous les six ans, pas de potentiel géologique en France, un monopole chinois sur l’approvisionnement… le tableau décrit par le géochimiste Clément Levard, à l’occasion de la publication vendredi d’une expertise collective du CNRS sur les terres rares, est inquiétant. Parce que ces fameuses « terres rares » – 17 éléments chimiques – sont essentielles à la transition énergétique : elles sont présentes dans les voitures électriques et hybrides, mais aussi dans les éoliennes, notamment les éoliennes offshore.
Ces terres rares, à ne pas confondre avec les métaux rares, dits critiques, tels que le lithium, le cobalt, le nickel, également essentiels à la transition énergétique, sont aussi présentes dans nos objets du quotidien : smartphones, écrans de télévision, petits appareils électroniques ou ampoules.
On les retrouve notamment dans les aimants permanents, qui représentent un tiers de la consommation mondiale de terres rares dans le monde. Mais aussi dans des produits sanitaires et l’imagerie médicale et même l’armement. La diversité des usages s’explique par leurs propriétés uniques : optiques, magnétiques et catalytiques.
478 millions de tonnes de terres rares dans la croûte terrestre
Dans la nature, elles sont toujours associées dans les minerais du sous-sol géologique. Il faut ensuite les extraire, les séparer, les raffiner… un processus coûteux en énergie, en eau et au fort impact social et environnemental. Des produits chimiques (solvants et acides) sont utilisés en grande quantité lors de ces procédés d’extraction, faisant peser un risque pour les sols et pour les hommes. D’autant plus que des déchets radioactifs sont issus de ce procédé d’extraction.
Et ce n’est pas le seul problème : il y a peu de ressources géologiques en Europe, et celles-ci sont quasi inexistantes en France. Dans le détail, la croûte terrestre renferme 478 millions de tonnes de terres rares, mais les réserves mondiales sont chiffrées à 100 millions de tonnes : « Il s’agit de la part de la ressource qu’on sait exploiter de manière viable économiquement »
, explique le chercheur. En 2024, la production de terres rares était seulement de 0,39 million de tonnes, ce qui laisse un potentiel. « Mais les projections laissent penser qu’on produira 100 millions de tonnes d’ici moins de 50 ans
. »
La Chine possède 90% des capacités mondiales de raffinage
La Chine détient 35% des ressources en terres rares (et 44% des réserves), elle contrôle 68% de l’extraction et possède 90% des capacités mondiales de raffinage. L’Union européenne ne possède que 6% des terres rares. Ce qui pose des questions de souveraineté, dans un monde dans lequel la demande va croître pour accompagner les nouveaux usages.
C’est la raison pour laquelle le CNRS a choisi de s’intéresser à ce sujet : les chercheurs ont analysé plus de 4.000 documents scientifiques pour synthétiser les connaissances sur le sujet. Et explorer trois pistes pour renforcer la souveraineté de l’Europe sur ce sujet : réduire le besoin en terres rares (avec des solutions technologiques ou des politiques de sobriété), recycler les terres rares et, enfin, extraire de façon plus propre ces éléments précieux.
Mais il n’existe pas de technique pour éliminer les terres rares d’un moteur électrique
Mais il n’existe pas de technique pour éliminer les terres rares d’un moteur électrique
Clément Levard, CNRS
Mais ces trois pistes représentent autant de difficultés. Des tests ont été réalisés pour remplacer ces terres rares, mais dans le cas des aimants permanents par exemple, la performance magnétique est moindre. D’autres options sont possibles, comme optimiser la place des aimants dans le moteur d’une voiture électrique pour réduire leur nombre.
« Mais il n’existe pas de technique pour éliminer les terres rares d’un moteur électrique
« , précise Clément Levard. À défaut d’en utiliser moins, l’autre piste est la sobriété des usages : « C’est par exemple l’autopartage ou le fait d’augmenter le nombre de passagers dans une voiture,
explique Romain Garcier, géographe à l’ENS Lyon. La réflexion sur la sobriété n’est pas que technologique, c’est aussi une réflexion avec des aspects sociaux
. »
Le recyclage a un grand potentiel, mais ne pourra pas couvrir tous les besoins
Le recyclage a un grand potentiel, mais ne pourra pas couvrir tous les besoins
Romain Garcier, géographe à l’ENS Lyon
Pour le recyclage, des méthodes existent, et ces terres rares sont recyclables à l’infini. Mais pour cela, il faut pouvoir collecter les produits dans lesquels elles sont présentes puis les extraire. Une idée complexe en raison de la diversité des produits concernés et de leur concentration en terres rares. Moins de 1% des terres rares sont recyclées. « On va par exemple avoir jusqu’à plusieurs tonnes de terres rares dans une éolienne offshore
, explique Clément Levard. Mais seulement quelques milligrammes de terres rares dans une LED et donc il faudrait collecter des milliards d’exemplaires
« . Autre exemple : il y a autant de terres rares dans une éolienne que dans deux millions de smartphones.
En dehors de ce frein lié à l’hétérogénéité des objets et des quantités de terres rares, deux autres freins au recyclage ont été relevés par les chercheurs, explique Romain Garcier. « Il y a la question de la rentabilité des opérations de recyclage : il n’y a pas recyclage possible si les terres rares recyclées sont plus chères que les terres rares issues des mines
« , explique le chercheur. Enfin, ce dernier évoque un cadre juridique paradoxal pour ces terres rares, considérées comme des « matériaux critiques » par l’UE, mais sans traçabilité.
Par ailleurs, « le recyclage a un grand potentiel, mais ne pourra pas couvrir tous les besoins : il n’y a pas assez d’objets anciens produits dans le passé pour en extraire des terres rares en quantités suffisantes pour les objets dans le présent
« .
Reste une dernière piste : trouver d’autres sources d’approvisionnement. Théoriquement, la France, second territoire maritime dans le monde, aurait un grand potentiel de ressources minérales offshore : au fond de l’eau, des nodules polymétalliques contiennent des métaux critiques et des terres rares. « Mais leur exploitation représente de nombreuses difficultés techniques, économiques et environnementales
« , liste Pascale Ricard, sociologue au CNRS, rappelant que la France fait partie des États qui demandent une interdiction des activités d’extraction minière offshore.
Si ce n’est pas sous la mer, les industriels pourront regarder ailleurs : dans les déchets miniers et industriels : selon des évaluations, 150.000 tonnes de terres rares se retrouveraient dans des résidus de bauxite et 320.000 tonnes dans des cendres de charbon, les deux issus de procédés industriels. « Ces sources secondaires générées par des déchets miniers sont toutefois moins concentrées que les sources primaires »
, précise Pascale Ricard, qui souligne que le débat est un débat de société : « Que faut-il extraire pour quels usages, au bénéfice de qui et à quel coût social et environnemental ?
«











