Avec son allemand parfait, ses manières polies et son allure soignée, Serdar Yüksel n’est pas exactement une gueule noire de la Ruhr. Il incarne pourtant un morceau de l’histoire de ce bassin industriel de l’ouest de l’Allemagne. Fils d’immigrés kurdes de Turquie venus faire tourner les aciéries de ThyssenKrupp dans les années 1960, cet élu social-démocrate de Bochum, âgé de 51 ans, est né au cœur de l’ancienne région minière. Il faut l’entendre raconter sans reprendre son souffle le destin tragique des militants socialistes de la ville, martyrisés par les nazis pendant la guerre. L’histoire est devenue la sienne.

Son héritage, c’est celui des « Kruppianer », ces ouvriers métallos dont on dit qu’ils sont nés à l’hôpital Krupp, ont travaillé à l’aciérie, ont vécu dans un lotissement Krupp, ont consommé Krupp et ont passé leurs vieux jours dans une maison de retraite Krupp. « Mon père travaillait chez ThyssenKrupp, mon frère aussi, mon beau-frère et beaucoup d’amis, explique-t-il. Dans chaque famille, il y a des anciens. Quinze mille personnes travaillaient ici dans l’acier. Il en reste environ 3 000… Mais aujourd’hui, il y a une réelle insécurité. »

L’usine ThyssenKrupp à Bochum (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), le 14 janvier 2025.

A l’automne 2024, l’entreprise a fait savoir qu’elle comptait supprimer 11 000 postes. A Bochum, 1 000 emplois seraient concernés. Mais ce qui se joue va au-delà, les élus le savent aussi bien que les ouvriers. Les emplois dans l’industrie, bien payés et protégés par des acquis sociaux anciens, font vivre confortablement des familles entières depuis plusieurs générations. Les conditions sont si favorables que même les syndicats refusent d’en parler. Chaque emploi industriel en entraîne trois autres dans son sillage, une manne pour la région. C’est cet équilibre historique, protégé par des organisations puissantes comme le syndicat IG Metall, auquel près de 100 % des ouvriers de ThyssenKrupp adhèrent, qui forme ici le socle du Parti social-démocrate (SPD). Et que la crise de l’industrie, qui frappe l’Allemagne depuis 2022 sous l’effet d’une énergie coûteuse et de la concurrence chinoise, menace une nouvelle fois de faire vaciller.

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