On l’appelle le Nattag 94 (« train de nuit 94 ») ou, dans sa dénomination commerciale, l’Arctic Circle Train (« train du cercle polaire »)… Il est pourtant d’apparence chaleureuse : intérieur tapissé de bois, cabines de trois lits confortables, design un peu désuet. En environ dix-huit heures, le « Stockholm-Narvik » vous transporte, en un des plus beaux trajets du Grand Nord, de la capitale suédoise au port norvégien de Narvik. Le périple démarre vers 23 heures. Au réveil, le paysage est celui qui va nous accompagner longtemps : la forêt suédoise. Pins, lacs, traces de neige… Comme c’est plat, la vue porte très loin. Le vert tendre des feuilles répond au bleu cristallin de l’eau. Parfois, des arbres tombés marquent le passage d’une tempête. Nous dépassons de jolies gares en bois.
Arrivé à Umea, après avoir franchi un pont et passé de grands immeubles bleus, on emprunte la Malmbanan, la « ligne du fer ». Dans le train, certains font leur gym dans le couloir, d’autres s’attardent au wagon-restaurant où l’on joue aux cartes et où les routards inquiets commentent les nombreux retards et les correspondances ratées, sans que le personnel fasse beaucoup d’effort pour les renseigner. Après Gallivare, des éoliennes se dressent sur les collines, et le paysage devient un peu plus vallonné. Aux pins, sapins et épicéas se mêlent des bouleaux, qui seront de plus en plus nombreux. Deux gros lièvres courent à côté de notre convoi.
A l’entrée de Kiruna, massifs, écrasants, de lourds terrils rappellent la naissance de ce train hors norme. A la fin du XIXe siècle, la découverte d’immenses gisements de fer bouleverse le nord de la Laponie, ce territoire partagé entre la Suède, la Norvège, la Finlande et la Russie. Mais comment transporter ce minerai ? En 1902, le chemin de fer permet de relier Kiruna au port norvégien de Narvik, accessible toute l’année car baigné par le Gulf Stream.
Le destin de Kiruna est scellé par la mine. En 2004, la poursuite de l’exploitation oblige la compagnie LKAB, qui gère l’ensemble, à creuser sous sa partie ouest, la condamnant à l’effondrement. Qu’à cela ne tienne : tout ce qui est en deçà d’une ligne rouge est détruit. Les plus anciens bâtiments, une très belle église en bois en particulier, sont déplacés. Un nouveau centre-ville est construit, dont les conceptions architecturales (peintures vertes et ocre, toits en forme de sommets montagneux…) tendent à évoquer le plus possible la nature. Les habitants, relogés ou indemnisés, subissent, impuissants, ces expulsions qui voient la mine grignoter ce qu’elle a fait naître. La récente découverte de terres rares va sans doute accroître cet incroyable déplacement jusqu’aux années 2030.
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