Aux élus du conseil municipal de Cognin (Savoie) qui lui avaient fait la proposition en 2019, Robert Badinter avait dit son « plaisir » : la route de Lyon, la grande rue traversant la commune, allait être rebaptisée « avenue Robert-Badinter ». C’est là que le jeune Robert, 15 ans, était venu se réfugier avec sa mère et son frère, après la rafle de la rue Sainte-Catherine, à Lyon, qui avait emporté 86 juifs, notamment son père, en 1943. De son vivant, l’ancien ministre de la justice avait gardé un attachement particulier à cette commune et à ses habitants, qui ne les avaient jamais dénoncés à la milice. Robert Badinter avait même été fait Cogneraud d’honneur, la seule distinction qu’il avait acceptée de son vivant et dont il était fier. Près de cinq ans après la proposition, le 10 avril, l’avenue a été baptisée.

Quelques semaines plus tard, les habitants et commerçants de l’avenue Robert-Badinter, enserrée sur 2 kilomètres entre les deux bras de la rivière de l’Hyères, s’apprêtent à voter, ou à ne pas voter, lors du premier tour d’une élection législative inattendue. Cognin fait partie de la 4e circonscription de la Savoie, celle de la ville-préfecture de Chambéry. Plutôt à gauche, elle a placé Jordan Bardella (RN) en tête lors des élections européennes dans 44 de ses 47 communes. Cognin est de celles-ci.

Avenue Robert-Badinter donc. On frappe à la porte d’une première maison. « Bonjour, on aimerait échanger avec vous autour des législatives. » L’homme en face de nous fait la moue et soupire. « Je n’ai pas le temps », oppose-t-il gentiment. La porte se referme. A gauche, sur la façade, une plaque précise : « Dans cette maison, Robert Badinter, sa mère et son frère Claude furent hébergés durant les années sombres 1943-1944 et bénéficièrent de la protection discrète des Cognerauds. »

Croix gammées au lycée

Un peu plus loin, un homme revient de sa promenade avec son chien. Manuel Roger, 56 ans, travaille au service radiologie de l’hôpital de Chambéry ainsi qu’en unité de médecine pénitentiaire. Il a voté pour les Verts lors des européennes, se dit plutôt centriste de gauche, écoute France Inter. « Je peux comprendre le ras-le-bol des gens, lance-t-il. Ce n’est pas bien de dire ça, je ne suis pas pro-RN, mais, la semaine dernière, je me suis fait inquiéter par des gens à scooter dans la rue à Cognin. D’autres se font importuner au pied de leur immeuble. Et en prison, je vois surtout des détenus d’origine maghrébine et d’Europe de l’Est. » Il a aussi été agressé deux fois aux urgences par des usagers.

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