Hermès.

Pourquoi la fashion week de Paris aimante-t-elle les professionnels du monde entier ? Une des principales raisons est que la capitale française incarne la diversité de la mode contemporaine, alors que ses concurrentes ont tendance à en représenter un segment en particulier – commercial à New York, expérimental à Londres, chic à Milan. Forte de 109 événements au programme de cette saison automne-hiver 2025-2026, Paris s’impose comme la ville où la créativité s’exprime dans des registres très différents, comme l’ont illustré les défilés du week-end des 8 et 9 mars.

Aucune marque ne symbolise plus le luxe discret qu’Hermès. L’entreprise, qui prône l’artisanat depuis 1837, tire fierté de sa fabrication française, n’utilise pas de logo et se garde de vendre en ligne ses sacs best-sellers. Les résultats exceptionnels de 2024 (15,2 milliards d’euros de chiffres d’affaires et une croissance de 15 % par rapport à 2023) confortent la marque dans sa conviction de rester fidèle à ses principes.

Sa singularité s’exprime aussi à travers ses défilés. Hermès aime convier ses invités à la cavalerie de la Garde Républicaine pour faire écho à ses origines de sellier. Les célébrités présentes font généralement partie du monde culturel français, de la réalisatrice Rebecca Zlotowski à l’actrice Amira Casar. Pas d’ostentation dans le décor non plus : de la terre au sol et une succession de murs incurvés reproduisant la forme de fers à cheval.

Depuis 2014, c’est Nadège Vanhée qui élabore l’offre féminine. Elle peaufine chaque saison sa vision d’une cavalière dont la garde-robe reflète la puissance et la sensualité. « Ce qui m’intéresse, c’est la tension qui naît des paradoxes : jouer sur la force et la vulnérabilité, la structure et le lâcher-prise. Cela fait partie de la nature d’Hermès », estime la designer.

D’un côté, il y a les silhouettes conçues pour le grand air, des bikeuses ou cavalières chics avec leurs blousons zippés, leurs pantalons en cuir, leurs bottes d’inspiration équestre ; de l’autre, la veine plus sensuelle, avec des robes en cuir qui dévoilent la chair ou en maille qui soulignent les formes. Le vestiaire est conjugué en brun profond, noir ou anthracite, comme les accessoires, dont des déclinaisons des sacs Bolide et Birkin, respectivement imaginés en 1923 et 1984, mais toujours aussi efficaces. Preuve supplémentaire que, chez Hermès, la stabilité est un gage de succès.

Chez McQueen, Sean McGirr signe sa troisième collection. La première était brouillonne, la deuxième affinait une proposition romantique et sombre plus convaincante ; cette dernière poursuit dans cette même veine. Le créateur irlandais, né en 1988, s’inspire d’un compatriote, Oscar Wilde, pour élaborer un vestiaire mixte de dandys nocturnes, infusé de références à l’ère victorienne.

On les retrouve d’abord dans des gabardines et tailleurs en laine noire aux manches gigot qui tranchent avec la blancheur des blouses aux dentelles entremêlées, agrémentées de collerettes faites d’un millefeuille de soie ondulant au gré des pas. Les silhouettes prennent ensuite une tournure plus extravagante, avec de longues robes transparentes à rubans dans des couleurs franches, vert absinthe ou rouge sang. Une fluidité qui contraste avec les fourrures en mouton sculpturales comme des armures pelucheuses. Les dernières silhouettes montent encore en intensité, avec d’imposantes robes sombres brodées de pierres qui captent la lumière.

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L’ensemble est bien réalisé, et a le mérite d’occuper le segment de la mode gothico-chic assez peu investi par les concurrents depuis que Riccardo Tisci a quitté Givenchy en 2017. Pourtant, il peine à convaincre vraiment. Sans doute n’est-il pas aidé par le lieu : la galerie de géologie et de minéralogie du Jardin des plantes, une longue nef au parquet poli, ne cadre pas vraiment avec l’histoire ténébreuse que cherche à raconter Sean McGirr. Il manque à la collection l’étincelle qui donnerait à ces créatures nocturnes une forme de vraisemblance.

Cascades de rubans

A l’inverse, Alessandro Michele possède un exceptionnel talent de metteur en scène, qui peut parfois reléguer ses vêtements au second plan. On rentre dans le défilé Valentino en poussant une première porte étroite, qui mène à un sas gris. Puis une seconde, qui ouvre sur un gigantesque décor de toilettes publiques, avec des dizaines d’autres portes alignées laissant entrevoir les pieds. Quelques lavabos et miroirs, le tout baigné dans une lumière rouge.

Ce décor surprenant nourrit la réflexion d’Alessandro Michele sur l’intimité, qui nous permettrait d’atteindre notre « noyau profond », « par opposition aux masques que la société de masse semble nous imposer ». Dans sa note d’intention où le designer fait référence aux philosophes Hannah Arendt, Michel Foucault et Romano Madera, il explique imaginer les toilettes publiques comme « un contre-lieu qui suspend le dualisme entre intérieur et extérieur, intime et exposé, personnel et collectif ». Un vaste programme.

Les mannequins sortent une par une des portes qui constituent le décor, dans un ballet hypnotisant et assourdissant, les basses faisant trembler les miroirs aux murs. Le vestiaire est fidèle au style baroque et maximaliste d’Alessandro Michele, avec beaucoup de robes à volants, des kilomètres de dentelles, des broderies foisonnantes, des cascades de rubans. Il y a toujours aussi cette candeur assumée, avec d’épaisses chaussettes vert pomme dans des sandales à paillettes, une robe brodée de strass représentant une tête de chat et les innombrables nœuds bordant les petites robes à col montant.

A ces éléments visuellement frappants mais dont on peut douter du potentiel commercial s’ajoutent d’autres, plus réalistes : des pantalons en laine évasés juste ce qu’il faut, des fourrures en mouton rétro, des cabans tout terrain, des pulls à motifs géométriques. Soit une jolie panoplie moins complexe (donc moins chère) et plus facile à porter, qui pourrait attirer les clientes historiques de Valentino que le premier show paroxystique avait mis de côté. Au passage, elles permettent à Alessandro Michele de se renouveler un peu.

Un autre maître de la mise en scène, c’est Demna, le designer de Balenciaga. Depuis son arrivée en 2015, il a produit les shows les plus frappants de ces dernières années, où la scénographie stupéfiante (reproduction du Parlement européen, d’une tempête de neige, mise en scène de l’apocalypse, etc.) venait toujours soutenir une réflexion sur des sujets complexes (tensions politiques et sociales, guerre en Ukraine, crise environnementale…). Cette fois-ci, les invités sont accueillis dans un labyrinthe aux hautes parois tendues de noir.

« Cela rappelle les coulisses du défilé, là où commence la création. La forme du labyrinthe est symbolique, elle évoque à la fois la mode et notre époque. Nous vivons un moment où beaucoup de décisions importantes sont en train d’être prises », affirme Demna. Faut-il comprendre que lui-même doit faire face à un choix ? Le Géorgien ne le précise pas, mais sa collection, qui ressemble à une compilation de son travail des années passées, a plutôt des airs de conclusion que de nouveau chapitre.

Cherchant à explorer « le concept de normalité », Demna imagine une série de personnages que l’on pourrait croiser dans la vraie vie. Il y a d’abord les employés de bureau aux costumes légèrement froissés et usés, puis les adolescents en survêtement (en collaboration avec Puma), les adeptes de la salle de gym en tee-shirt déchiré laissant voir la musculature, les oiseaux de nuit qui sortent d’une longue soirée avec la capuche enfoncée sur la tête et les lunettes pour cacher les cernes, etc. Le jeu sur les proportions et les détails (bottes d’équitation imposantes, gants de moto cloutés…) leur donne une aura inquiétante, signature de Demna. Quelques robes couture formellement parfaites complètent l’ensemble.

« La mode, c’est d’abord le vêtement. Trouver les bonnes proportions, les bonnes coupes, c’est ça qui compte, martèle le Géorgien après le défilé. Regardez, pour la première fois je porte un costume parce que j’ai enfin réussi à en concevoir un qui me convient ! » Le Demna introspectif et engagé des années passées semble avoir cédé la place à un designer plus prudent et mesuré, sur le fond comme sur la forme.

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