Livre. Bien que l’Union internationale des sciences géologiques vienne de conclure, de manière contestée, que la Terre n’est pas entrée dans l’anthropocène, continuons de gratter la surface de la planète avec Cal Flyn, là où l’être humain a marqué le paysage de son empreinte, avant de se retirer. De terrils en friches urbaines, en passant par une ville ensevelie par un volcan, l’autrice écossaise raconte dans A l’abandon (Paulsen, 352 p., 23,50 €) comment la nature se faufile dans les interstices des no man’s lands. En parcourant douze sites à travers le monde, elle constate qu’ils sont devenus des refuges pour la faune et la flore, empressés de reconquérir les lieux.

L’un des exemples les plus connus est la zone autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine), où les animaux prolifèrent malgré la radioactivité. « Les effets secondaires bénéfiques d’une situation malheureuse », pointe Cal Flyn, à l’image de la seconde guerre mondiale, lorsque l’arrêt de la pêche en mer du Nord a permis à la population de poissons d’augmenter. Poussant les humains à se séparer de leurs territoires, les catastrophes, les crises et les conflits sont des aubaines pour les autres formes de vie.

Sur l’île de Chypre, la journaliste a arpenté la zone tampon entre les territoires grecs et turcs, baptisée, dès 1963, avec une prémonition certaine : « ligne verte ». Des scientifiques y ont observé, en 2008, qu’elle était devenue une réserve de biodiversité.

Ruines de l’humanité

En France, Cal Flyn s’est rendue dans la « zone rouge » de Verdun, où la bataille du 21 février 1916 et son déluge d’obus ont rasé la terre, mais où pousse désormais une forêt. Plusieurs années après l’armistice, « comme pour jeter un linceul sur la zone de guerre, il a finalement été décidé d’y planter des arbres. Cela permettrait de stabiliser le sol et de contenir les vestiges de la guerre pendant une génération ou plus. Une forêt de l’oubli en quelque sorte ». La présence, à proximité, de la « place à gaz », une « plaie stérile » aux allures de clairière – 200 000 munitions y furent brûlées en 1928 –, témoigne que la nature peut se repaître de la pollution : le lichen Cladonia fimbriata fait son miel de la présence de métaux lourds, comme le zinc et le plomb.

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Cal Flyn se penche aussi sur ce que la désertion par l’être humain raconte sur lui-même et sur son rapport à l’environnement. Aux Etats-Unis, le délabrement urbain à Détroit affecte la psychologie des habitants. « L’abandon urbain est une maladie contagieuse : lorsqu’une maison est abandonnée, les habitations voisines sont plus exposées. » Toujours outre-Atlantique, à Staten Island, le cimetière de bateaux à ciel ouvert du détroit Arthur-Kill illustre la gestion des déchets en Occident durant les XIXe et XXe siècles : « Laissez reposer, le temps fera son œuvre. »

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