L’élection présidentielle de 2024 pourrait bien être la plus serrée de l’histoire contemporaine des Etats-Unis. A une semaine du scrutin, les sondages distinguent de moins en moins les intentions de vote pour Kamala Harris de celles pour Donald Trump, dont l’écart se situe dans la marge d’erreur.

Dans les sondages nationaux, Kamala Harris a pourtant longtemps bénéficié d’une avance décisive sur Donald Trump. Après une entrée en campagne en fanfare, soutenue par l’establishment démocrate et la convention nationale du parti mi-août, la vice-présidente avait réussi à apporter un vent de fraîcheur que n’espéraient plus nombre d’électeurs, rebutés par la perspective d’un nouveau duel Biden-Trump. Mais cette avance a fondu depuis la mi-octobre, malgré les efforts de la candidate démocrate d’apparaître la plus rassembleuse possible face à un rival républicain clivant, que beaucoup d’électeurs disent ne pas apprécier.

L’avance de Kamala Harris s’effrite dans les sondages nationaux

Evolution de la marge des sondages nationaux depuis le 18 mai 2024.


Biden en tête


Trump en tête


Harris en tête

Trump et Harris au coude-à-coude dans les Etats pivots

Dans les sept Etats pivots, qui décideront de l’issue de l’élection, la situation n’est pas beaucoup plus claire, avec des sondages extrêmement serrés entre M. Trump et Mme Harris.

L’ancien président semble néanmoins en position favorable en Géorgie et dans l’Arizona, deux Etats bascules historiquement très favorables aux Républicains que Joe Biden leur avait ravis en 2020. Selon l’agrégation des intentions de vote faite par le site spécialisé FiveThirtyEight, M. Trump y mène de respectivement 2 et 2,2 points. Des marges à l’apparence confortable pour le républicain quand on les compare aux autres swing states, mais qui restent minces.

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Dans les Etats du Midwest (Wisconsin, Michigan et Pennsylvanie), les enquêtes d’opinion montrent un resserrement entre les deux candidats, ce qui rend la course plus incertaine que jamais dans ces trois Etats importants.

Harris et Trump au coude-à-coude dans les Etats pivots

Agrégation quotidienne des intentions de vote pour chaque candidat dans les sept Etats les plus indécis.


Kamala Harris


Donald Trump

Caroline du Nord

Trump +1,6

L’érosion du vote démocrate chez les Afro-Américains et les Hispaniques, un risque pour Kamala Harris

Dans le scénario où l’élection se jouerait à quelques dixièmes de points de pourcentage dans les fameux Etats pivots, l’issue du scrutin peut se jouer sur des fractions de l’électorat américain. A cet égard, le relatif déclin du soutien des électeurs afro-américains et hispaniques aux démocrates, documenté depuis plusieurs mois par de nombreuses enquêtes d’opinion (dans le New York Times ou sur le site Split Ticket), constitue un risque non négligeable pour Kamala Harris.

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On note, par exemple, un net décrochage chez les électeurs afro-américains en 2024. Si 92 % d’entre eux ont voté bleu en 2016, et 90 % en 2020, ils ne seraient plus que 78 % à le faire en 2024. A l’inverse, le soutien à Donald Trump pourrait augmenter sensiblement chez ces électeurs, passant de 9 % à 15 % entre 2020 et 2024. Mêmes observations chez les électeurs hispaniques : 68 % d’entre eux avaient soutenu Hillary Clinton en 2016, mais le dernier sondage du New York Times place désormais ce niveau de soutien à 56 % (− 12 points).

Le recul est surtout prononcé chez les jeunes électeurs masculins. Ainsi, 45 % des électeurs latinos de moins de 30 ans ont l’intention de voter pour Donald Trump, contre 31 % des électrices du même âge. Les sorties racistes de Donald Trump semblent ne pas avoir d’effets sur cet électorat, du moins sur celui des citoyens nés aux Etats-Unis, dont seulement 30 % estiment se sentir ciblés par le candidat républicain (43 % pour ceux nés à l’étranger). Les conditions économiques jouent aussi un rôle au sein de l’électorat latino, particulièrement vulnérable face à l’inflation record enregistrée ces dernières années, et Donald Trump est souvent jugé plus convaincant sur les questions économiques.

Ce recul est certes relatif, car il ne concerne qu’une fraction des électeurs hispaniques et afro-américains, qui soutiennent encore très largement les démocrates. Mais dans le scénario d’une élection très serrée, cette érosion pourrait faire peser un risque considérable pour Kamala Harris, qui deviendrait alors davantage dépendante du soutien des banlieues blanches de la classe moyenne, comme celle de Philadelphie (Pennsylvanie), où les démocrates ont besoin de maintenir l’avance de Joe Biden en 2020 pour espérer l’emporter.

A titre d’illustration, le dernier démocrate à avoir obtenu moins de 60 % de soutien chez les Hispaniques était John Kerry, en 2004, qui avait alors perdu le scrutin face à George W. Bush.

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Une campagne plus clivée par le genre que jamais

Le « gender gap » dans l’électorat américain n’est pas un phénomène nouveau, puisqu’on l’observe en continu depuis les années 1980. Mais le scrutin de 2024 pourrait être le plus genré de l’histoire contemporaine des Etats-Unis.

Le Monde

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Le dernier sondage réalisé par le New York Times, du 20 au 23 octobre, montre que Kamala Harris est soutenue par 53 % des femmes sondées, contre 39 % des hommes. A l’inverse, 53 % des hommes disent vouloir voter pour Donald Trump, contre 41 % des femmes. S’il se confirmait dans les urnes, cet écart de genre, que de nombreuses enquêtes menées depuis août situent autour de 13 points, serait le plus large depuis au moins l’élection de Ronald Reagan, en 1980.

Outre le fait que la candidate démocrate soit une femme – la deuxième après Hillary Clinton –, l’engouement de l’électorat féminin pour le parti de l’âne s’inscrit également dans un contexte de regain des luttes pour les droits reproductifs aux Etats-Unis. L’abrogation du droit fédéral à l’avortement, en juin 2022 par la Cour suprême, après quarante-neuf ans d’existence, a fait massivement réagir lors des élections de mi-mandat et continue de mobiliser et de motiver les Américaines (et dans une moindre mesure, les Américains).

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Mais l’écart qui se creuse entre hommes et femmes dans leurs choix électoraux peut également être la conséquence d’une polarisation croissante entre genres, notamment chez les plus jeunes. On observe que les jeunes électrices penchent de plus en plus à gauche, tandis qu’une part croissante de jeunes hommes se tourne vers des idées plus conservatrices.

Un tel écart pourrait avoir des conséquences bien réelles sur l’élection présidentielle, où les femmes ont un taux de participation supérieur à celui des hommes depuis plus de quarante ans. En 2020, elles ont représenté 51,8 % des électeurs, bien loin devant les hommes (44 %). Cet écart est d’ailleurs corrélé avec la participation : plus elle augmente, et plus la part des électrices est grande. Les femmes sont aussi plus nombreuses à être inscrites sur les listes électorales. En 2020, on dénombrait 89 millions d’électrices, contre 79 millions d’électeurs. L’avance que Kamala Harris a dans l’électorat féminin pourrait ainsi se révéler décisive pour remporter suffisamment d’Etats-clés.

Les sondages sont serrés mais l’élection pourrait ne pas l’être

Les sondages, qu’ils soient réalisés au niveau national ou étatique, ont très souvent une différence de plusieurs points avec les résultats des élections. Selon le New York Times, depuis 1988, l’ultime estimation des sondages nationaux avant chaque scrutin a manqué le résultat des élections d’environ 2,3 points en moyenne. C’est nettement mieux que les estimations issues des sondages réalisés dans les Etats pivots, qui ont « manqué » le résultat réel de 3,1 points en moyenne depuis 2000. Le quotidien new-yorkais a d’ailleurs calculé que ces sondages ont quasi systématiquement sous-estimé le vote Trump depuis 2016, parfois très lourdement.

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Les instituts de sondage ont donc tenté ces dernières années d’identifier les causes des échecs de 2016 et de 2020 et d’y remédier afin de mieux prendre en compte les électeurs de Donald Trump, dont le profil est, en général, plus éloigné de la politique et donc plus réticent à répondre aux sondages. C’est du moins l’une des hypothèses qui expliquerait la difficulté des sondages à capturer le vote en faveur du milliardaire depuis son apparition sur la scène politique nationale.

Malgré ces précautions et les changements méthodologiques apportés depuis quelques années (modes de contact, techniques de redressement, etc.), il demeure tout à fait possible que les sondages sous-estiment l’un ou l’autre des candidats. La victoire pourrait se révéler bien plus nette et décisive que ne le présage l’état de l’opinion publique actuel. Même une erreur « modeste » d’un point de pourcentage serait suffisante pour faire basculer l’élection. Les sondages ont autant sous-estimé les démocrates que les républicains dans l’histoire récente.

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