St. Vincent, à New York, en 2024.

Un groupe de fans guette fébrilement l’apparition d’une star, le 1er mars, devant l’entrée du Bristol, palace parisien d’élection pour les Américains nostalgiques des Années folles, en premier lieu Woody Allen, qui y a tourné Minuit à Paris (2011). Dans la capitale française, il ne saurait s’agir de St. Vincent, le pseudonyme de la musicienne Annie Clark, dont l’existence se partage entre sa résidence new-yorkaise, son studio à Los Angeles et son Dallas originel. Pour des raisons assez incompréhensibles, le pays qui a adoré les transformistes David Bowie et Prince ignore globalement leur plus brillante héritière depuis sa percée, il y a dix ans, avec son cinquième album, St. Vincent.

Contrairement à la Grande-Bretagne, qui lui a déroulé le tapis rouge, le 2 mars, pour la cérémonie londonienne des Brit Awards. Si St. Vincent est descendue la veille rue du Faubourg-Saint-Honoré, c’est pour y avoir été invitée pendant la fashion week par une maison de couture habillant le diable. Réalisé par l’artiste conceptuel Alex Da Corte, le clip de Broken Man, single d’All Born Screaming, le septième album de St. Vincent, a été en effet inspiré par la vision, au musée madrilène du Prado, des Pinturas negras (1819-1923), de Francisco Goya. Avec les deux vedettes que sont Saturne dévorant un de ses fils et Le Sabbat des sorcières.

Arty et cathartique

Dans le clip, St. Vincent semble à son tour promise au bûcher. Le teint cireux, elle gît au sol et peine à se relever. Puis, le corps de celle qui avait baptisé, en 2006, une de ses premières chansons « Paris Is Burning » est convulsé par des flammes. Les tons dominants du disque sont donnés : du noir, contrasté de blanc (le chemisier qui s’embrase, les chaussettes dans les escarpins). Le son s’inscrit dans le sillage du rock industriel des années 1990. Plus particulièrement le groupe américain Nine Inch Nails et son deuxième album, The Downward Spiral (1994). De la descente aux enfers, entre nihilisme et autodestruction, du chanteur Trent Reznor, St. Vincent a retenu l’aspect positif : « La perfection sonique dans la claustrophobie. Je n’en finis pas d’admirer la production, les textures et l’utilisation de l’espace. »

All Born Screaming – « tous nés en hurlant »appartient ainsi à un genre bien identifié par la littérature rock : l’objet malade à fonction thérapeutique, sinon cathartique. Ce qui ne devrait pas libérer St. Vincent de la catégorie dans laquelle l’industrie américaine, qui l’a récompensée (pour St. Vincent et Daddy’s Home, en 2021) lors des Grammy Awards, l’a contenue : ce courant « alternatif » que l’on oppose au mainstream, dominant. La musicienne est trop bizarre, trop arty, trop erratique – jamais deux fois le même album. « Je change systématiquement de procédé pour écrire des chansons, confirme-t-elle. Je ne m’assieds pas au piano en me disant : “ceci est un couplet”, “ceci est un refrain”. Chez moi, toutes les pièces de l’échiquier se déplacent en même temps et à tout moment. Jusqu’à ce que la combinaison me convienne. »

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