Le désert d’Atacama, au Chili, offre les meilleures conditions au monde pour l’observation du ciel.
Mais le projet de construction d’une usine à hydrogène menace d’affecter gravement les observations de certains des télescopes les plus puissants et les plus onéreux du monde.

Le désert chien d’Atacama n’est pas seulement le plus aride de la planète, c’est aussi l’un des rares endroits au monde où on peut encore observer à l’œil nu la Voie lactée. Encore à couvert de toute pollution lumineuse, cette immense étendue désertique au nord du Chili offre une qualité de ciel exceptionnelle et, par extension, des conditions optimales pour l’étude astronomique. 

Les astronomes y sont aux premières loges pour scruter la Voûte céleste. Et c’est la raison pour laquelle on y a installé certains des télescopes les plus puissants et les plus onéreux du monde. 

Le Very Large Telescope (VLT), avec ses quatre télescopes optiques, à l’Observatoire européen austral (ESO) de Paranal – RODRIGO ARANGUA / AFP

Mais ce ciel noir immaculé est aujourd’hui menacé, alertent des astronomes de l’Observatoire européen austral (ESO). La compagnie américaine AES Energy a annoncé son intention d’implanter une usine de production d’hydrogène et d’ammoniac vert. Le complexe industriel verrait le jour à Taltal, dans la région d’Antofagasta, à une dizaine de kilomètres de Mont Paranal, où se trouve le Very Large Telescope (VLT), l’un des télescopes les plus puissants au monde, et à proximité duquel, un autre encore plus puissant, le Extremely Large Telescope (ELT), est en cours de construction.

Pollution lumineuse

L’annonce de ce projet a provoqué la colère des équipes de l’ESO de Paranal. Le site d’observation a été inauguré en 1999 à 2.600 mètres d’altitude en plein désert d’Atacama, un emplacement idéal pour l’observation astronomique en raison de son climat sec, de son altitude et de l’absence de nuages et pluie. Mais la pollution lumineuse émise par ce complexe industriel, qui s’étendra sur plus 3000 hectares, pourrait affecter grandement les capacités de ce réseau d’observatoires astronomiques, qui comprend aussi le radiotélescope ALMA et le télescope optique de La Silla. 

 « Nous avons construit les télescopes les plus grands et les plus puissants dans le meilleur endroit de la Terre pour l’astronomie, afin de permettre aux astronomes du monde entier de voir ce que personne n’a jamais vu auparavant. La pollution lumineuse causée par [ce projet d’usine à hydrogène] ne fait pas qu’entraver la recherche, nous privant de notre vision commune de l’univers », déplore Itziar de Gregorio, un représentant de l’ESO au Chili, cité dans un communiqué de presse (nouvelle fenêtre) pour réclamer l’arrêt du projet.

Un des trésors astronomiques les plus importants du monde

Itziar de Gregorio, un représentant de l’ESO au Chil

Selon une étude d’impact (nouvelle fenêtre) menée par l’ESO, la pollution lumineuse émise par ce complexe industriel va « augmenter de 35% la luminosité » du ciel nocturne au-dessus du Very Large Telescope (VLT). « Avec un ciel plus lumineux, nous limitons considérablement notre capacité à détecter directement des exoplanètes semblables à la Terre, à observer des galaxies peu lumineuses et même à surveiller des astéroïdes potentiellement dangereux pour notre planète », rappelle Itziar de Gregorio, pour qui ce projet menace « l’un des trésors astronomiques les plus importants du monde ».

L’Observatoire en cours de construction Cherenkov Telescope Array (CTA), situé à cinq kilomètres du site de la future usine à hydrogène, pourrait également en subir les conséquences, tout comme le Télescope géant européen E-ELT, qui deviendra le plus grand au monde en lumière visible et infrarouge une fois sa construction achevée d’ici à la fin de décennie.

Un projet écologique… au mauvais endroit

La société américaine AES Energy met en avant la dimension écologique du projet. À savoir, la production d’hydrogène et d’ammoniac vert, le développement du solaire, de l’éolien ainsi que du stockage de batterie, répondant ainsi à l’objectif du Chili d’accroître la part des énergies renouvelables de son mix énergétique. Contactée par le média américain Space.com (nouvelle fenêtre), l’entreprise assure que le projet respectera « les normes les plus strictes en matière d’éclairage dans sa conception », conformément à la réglementation établie par le ministère chilien de l’Environnement.

Un rapport détaillé sur l’impact du projet en termes de pollution lumineuse doit être remis prochainement aux autorités chiliennes. « L’ESO et ses États membres soutiennent pleinement la décarbonisation de l’énergie. Pour nous, le Chili ne devrait pas avoir à choisir entre l’accueil des observatoires astronomiques les plus puissants et le développement de projets d’énergie verte. Les deux sont tout à fait compatibles, si les installations se trouvent à des distances suffisantes », a défendu plus tôt dans la semaine le directeur général de l’ESO, Xavier Barcons. Toutefois, rien ne garantit que l’organisation obtiendra gain de cause.

Décennie après décennie, la pollution lumineuse gagne du terrain, au point que le nombre d’étoiles visibles à l’œil nu pourrait être divisé par deux en moins de vingt ans à certains endroits, révélait une étude publiée en 2023 dans la revue Science. Autrement dit, un enfant qui nait aujourd’hui dans un lieu où 250 étoiles sont visibles dans le ciel à la nuit tombée ne pourra en voir qu’une centaine lorsqu’il atteindra l’âge de 18 ans. En voilà un nouvel exemple. « L’homme mène une guerre contre la nature. S’il gagne, il est perdu », aimait à répéter l’astrophysicien Hubert Reeves. Les autorités chiliennes devraient y songer.


Matthieu DELACHARLERY

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