Depuis la gare de L’Arbresle (Rhône), une route sillonne jusqu’au sommet de la colline d’Eveux, un village de 1 200 habitants, à 25 kilomètres à l’ouest de Lyon. Il n’est pas rare d’y voir des Japonais ou des Américains traîner une valise à roulettes dans la montée plutôt raide qui mène jusqu’aux hauteurs. On vient de loin pour visiter le couvent de La Tourette, œuvre radicale et fascinante imaginée, entre 1953 et 1960, par Le Corbusier pour les frères dominicains, et où une communauté de neuf religieux continue à vivre et à recevoir ceux qui veulent s’y retirer quelques jours.

Après avoir franchi l’entrée du domaine boisé de 7 hectares, dépassé la ferme et l’ancien château, il faut encore emprunter l’allée cavalière qui longe la forêt. Dans cet environnement bucolique de pins, de chênes et de châtaigniers roussis par l’automne, rien ne laisse présager la vision qui s’annonce. C’est d’abord la stupéfaction, un saisissement face au mur aveugle en béton d’une vingtaine de mètres de haut, surmonté d’un rectangle creux abritant une cloche. Cette église monolithe, dont le vocabulaire brutaliste évoque davantage le barrage hydroélectrique que l’édifice religieux, se prolonge par un parallélépipède, également bétonné, percé d’une centaine de loggias aux balcons ajourés parfaitement identiques.

Posé sur pilotis, selon un procédé cher à l’architecte, le volume compact avance, comme en équilibre, sur la pente qui dévale vers la plaine. « Le Corbusier a choisi de placer le couvent à l’endroit où la déclivité est la plus forte », commente le frère Charles Desjobert. Diplômé en architecture et architecte du patrimoine, il est l’un de ceux qui connaissent le mieux l’édifice, classé monument historique dès 1979. « Au lieu de partir du bas, il a d’abord aligné la ligne supérieure du bâtiment sur les monts du Lyonnais, en face. » Passé le choc initial, ce paquebot qu’on dirait amarré à l’allée par une courte passerelle se dévoile plus précisément. « Au-delà de l’aspect industriel et défensif du lieu qui saute d’abord aux yeux, on discerne des éléments plus archaïques, comme les gargouilles ou les étages supérieurs légèrement en saillie, comme des encorbellements. »

Une architecture solaire

Surplombé d’un bouleau pleureur, le portique d’entrée, simple arche rectangulaire aux proportions du Modulor – une unité de mesure conçue à partir d’une silhouette humaine, inventée par Le Corbusier – énonce à lui seul l’un des principes fondateurs de l’édifice : la justesse absolue des volumes. Le célèbre architecte et urbaniste suisse déclarait d’ailleurs : « Ce couvent de rude béton est une œuvre d’amour. Il ne se parle pas. C’est de l’intérieur qu’il se vit. C’est à l’intérieur qu’il se passe l’essentiel. » Après la porterie – cinq alvéoles où les frères pouvaient jadis rencontrer leur famille, faisant désormais office de bureau d’accueil –, il faut pousser une porte rouge, l’une des couleurs vives utilisées dans le couvent, avec le jaune, le vert et le bleu, pour effectuer la promenade architecturale voulue par Le Corbusier.

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