« Usine à divertissement » (2016), de Bertille Bak (triptyque vidéo HD 16/9, couleur, son stéréo, 20 min). Avec le soutien du Fonds municipal d’art contemporain de la Ville de Genève, du Fonds d’art contemporain du Canton de Genève, du Faena Art Center, Buenos Aires, de la Fondazione In Between Art Film, Rome, et de la HEAD Genève.

Longtemps, Bertille Bak a été seule, ou presque. S’inquiéter de la société, s’attendrir pour ses pairs les humains et attendrir leur quotidien… Très peu d’artistes s’y livraient comme elle. Sociocul (pour « socioculturel »), c’était, dans le monde de l’art, une insulte. Elle, partait pendant des mois, des années, à la rencontre de communautés marginalisées. Les habitants d’un immeuble de Bangkok promis à la destruction, les cireurs de chaussures de Bolivie, les sœurs de Notre-Dame-de-la-Médaille-Miraculeuse, à Paris… A chacun de ses projets, elle s’est penchée sur « des vies cabossées, des inégalités sociales, des luttes perdues ».

A 41 ans, Bertille Bak est moins seule, beaucoup moins seule. La tendance s’est inversée : pas un artiste qui ne s’inquiète du fait social, du vivre-ensemble. Mais elle a plus de doutes que jamais, et elle les laisse traverser son exposition au Jeu de paume, à Paris. « Je ne peux m’empêcher de m’interroger : à quel point suis-je autorisée à utiliser la misère sociale des autres, sous prétexte que je viens d’un milieu prolétaire ?, s’interroge cette native d’Arras, qui a étudié aux Beaux-Arts de Paris et au Fresnoy de Tourcoing. L’art social est une brèche tellement à la mode… Comment échapper à l’autocélébration ? »

Son exposition répond pour elle : nulle autocélébration ; aucune complaisance ni engagement de pacotille. Elle y a rassemblé quelques-uns de ses projets récents autour de la question du travail. « Au sens de l’exploitation, mais aussi des flux internationaux, qui ne cessent de grandir, tandis que nos frontières s’intensifient, précise-t-elle. Cette question a grandi en moi à partir des récits de mon grand-père, qui a travaillé à la mine dès ses 13 ans. Ce gros dur explosait de sensibilité dès qu’on évoquait cela, ce corps contraint, les maladies nées de la poussière. »

« Pirouettes visuelles »

Son projet « Boussa From the Netherlands » nous emmène à la rencontre de travailleuses marocaines, payées des clopinettes pour décortiquer, dans des ateliers frigorifiés, des crevettes apportées des Pays-Bas. Mise à nu par leurs soins, la chair repart aussitôt… aux Pays-Bas. Comment mieux témoigner de l’absurdité du commerce mondialisé ? On le voit dans son film, les mains saignent, les corps sont intoxiqués. Mais plutôt que de se contenter de plaindre ces femmes, l’artiste a imaginé avec elles de jouer avec les yeux des crevettes (seul élément délaissé par la chaîne de production) pour fabriquer d’absurdes souvenirs touristiques. Il en va ainsi à chaque fois : aux invisibles qu’elle rencontre, Bertille Bak propose « des pirouettes visuelles et des révolutions en carton-pâte [pour] insuffler de nouvelles règles, de nouveaux jeux et rituels au sein du groupe ».

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