Le Messie s’est arrêté à Ulcinj. Sabbataï Tsevi (1626-1676), juif et kabbaliste de Smyrne (Izmir), qui se proclama comme tel, provoqua un important schisme dans la communauté juive de l’Empire ottoman avant d’être forcé par le sultan à se convertir à l’islam, puis exilé dans ce repaire de pirates du sud de l’actuel Monténégro. Son histoire se découvre au détour d’une ruelle de la vieille ville, en même temps que sa statue de bronze, rouleau de la Torah en main, regard fixé par-delà les murailles de pierre claire, en direction du large et de sa terre natale.

Il se tient depuis trois ans à quelques pas d’une autre sculpture plus stylisée représentant Cervantès : une légende veut que l’auteur de Don Quichotte, enlevé par des corsaires ottomans en 1575, ait passé cinq ans comme prisonnier à Ulcinj, alors appelée Dulcigno en italien, d’où il aurait tiré le prénom de la Dulcinée de son « ingénieux hidalgo » après être lui-même tombé amoureux d’une jeune femme du coin. Rien ne vient confirmer cette histoire, mais la cité côtière la cultive comme pour y trouver un supplément d’âme patrimonial et culturel.

Ce qui est plutôt réconfortant sur ce littoral du petit Monténégro trop souvent livré aux promoteurs prédateurs qui défigurent la façade maritime. Et ceux qui n’ont pas envie de limiter leur séjour aux randonnées entre lacs, gorges et montagnes dans les cinq parcs nationaux de l’arrière-pays peuvent encore espérer un peu de beauté et d’esprit le long de la côte. La vieille ville d’Ulcinj, citadelle reconstruite après un tremblement de terre en 1979, garde le charme de ses façades austères et de ses passages pavés, malgré les enseignes criardes annonçant restaurants et « apartmani ».

Son touchant musée archéologique – dont les vitrines surannées exposent quelques fragments d’un passé remontant au Ve siècle av. J.-C. dans une ancienne église Renaissance devenue mosquée ottomane –, sa tour carrée du XIVe siècle et sa place des Esclaves sont un concentré de l’histoire méditerranéenne.

Autour, l’agglomération « moderne » ressemble à l’Orient, entre clochers et minarets. Et, hors saison, l’immense plage de Velika Plaza qui s’étire jusqu’à la frontière albanaise – 12 kilomètres de sable bordés par des marécages et des pins – est l’une des plus belles d’Europe, paradis du kitesurf, avant qu’y prennent leurs aises matelas et parasols des concessions privées (Cabo Beach, Havana Beach).

Précieux décors

Une anse arrondie entre cyprès et pins, derrière d’antiques oliveraies, à Valdanos ; une crique presque sauvage au bout d’un chemin piétonnier, à Uvala Zakolac ; une parenthèse de luxe entre cèdres, pelouses et eaux turquoise dans le parc d’une ancienne résidence royale à Milocer ; le hameau de pêcheurs de Sveti Stefan, sur son îlot qu’une virgule de sable blond relie au rivage… sont encore de précieux décors. Il faut prier pour que la cupidité ne défigure pas trop vite la charmante baie de Petrovac et sa promenade qui va du port aux rochers en millefeuille, avec ses deux îlots et leur chapelle plantée au milieu. Au-dessus du port, le Kastio, château vénitien du XVIe siècle qui abrite un café, canon posé sur le rempart et pointé vers le large, est une forteresse d’opérette.

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