« Comment une telle catastrophe a-t-elle pu frapper une ville qui s’appelle “Paradise” ? » se demandaient les victimes du mégafeu qui avait ravagé la Californie en 2018. La même question se pose au sujet de Los Angeles, la « cité des Anges ». Face au mégafeu, les anges muteraient-ils en démons, et le paradis en enfer ? Le mégafeu n’a cependant rien d’un châtiment divin, d’une punition quelconque, ni même d’une triste infortune. Il s’explique par divers facteurs, tels des événements climatiques extrêmes, le mitage des forêts, la destruction culturelle des peuples qui entretenaient et cultivaient savamment depuis des milliers d’années la nature, l’introduction de plantes hautement inflammables décoratives ou rentables (eucalyptus, laurier, palmier à huile, pin douglas, etc.).

Tous ces facteurs se résument à un seul, plus général : la ville. Je la distingue de la cité, dont le mode d’existence est celui du « bien vivre », écrivait Aristote, de l’indépendance politique et économique, de l’inclusion dans un environnement plus vaste, géographique, historique, biologique, dont elle se sait partie prenante.

A l’opposé, la ville a été pensée comme paradis, justement. Son idéal est de ne rien devoir à la Terre. A Los Angeles, on a détourné l’eau, chassé les autochtones, bétonné. Partout, on voudrait nullifier les éléments naturels ; on enterre les cours d’eau, on « conditionne » l’air, on construit sur dalle. L’idéal de la ville, c’est le hors sol, la tour de Babel, cette construction biblique destinée à permettre aux humains de quitter la terre et de transgresser les limites de leur nature d’êtres mortels ; c’est la cité des Oiseaux, cette forteresse ovoïde flottant dans les airs dont Aristophane se moquait, c’est encore la cité de Thomas More ou de Tommaso Campanella, le phalanstère de Charles Fourier, la Cité radieuse du Corbusier.

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On voudrait la ville hors du temps, régulée par une intelligence supérieure, celle de l’Expert omniscient, bientôt remplacé par l’intelligence artificielle. On voudrait aussi que, à l’instar de la tour de Babel, dont la construction supposait un peuple parlant une seule langue, n’ayant qu’un seul projet, poursuivant un seul et même objectif, elle détermine la conduite des personnes et les harmonise entre elles, à leur insu. Il faudrait un terme qui soit à la ville ce que le « transhumanisme » est aux individus humains.

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