- La 51ᵉ édition du Festival du cinéma américain ouvre ses portes ce vendredi.
- Le Septième art est-il un moyen de réconcilier la France et les États-Unis dans un contexte international tendu ?
- C’est en tout cas l’objectif d’Aude Hesbert, la directrice de la manifestation qui s’est confiée à TF1info.
C’est dans un contexte inédit que va se dérouler 51ᵉ édition du Festival du cinéma américain de Deauville, les tensions politiques et économiques se multipliant ces derniers mois entre Paris et Washington. Paradoxe : il n’y a jamais eu autant de tournages américains en France, quand bien même Donald Trump a menacé de taxer les films produits hors des États-Unis. Coopération entre les deux industries, crise du cinéma indépendant, #MeToo… TF1info fait le point avec Aude Hesbert, la directrice de la manifestation.
Les relations entre la France et les États-Unis sont « compliquées » dans de nombreux domaines en ce moment. Le cinéma, ça reste un terrain d’entente entre nos deux pays ?
C’est en tout cas l’idée du nouveau rendez-vous que j’ai décidé d’organiser cette année, les « Deauville Industry Encounters », des rencontres professionnelles dans un contexte politique effectivement difficile. Sans parler de la longue crise que Hollywood traverse depuis le Covid, suivie de la grève des scénaristes et des acteurs et aujourd’hui de la fuite des tournages hors des États-Unis. Nos deux cinémas s’admirent de manière authentique depuis longtemps. Mais leurs industries ne parlent pas le même langage. Je me suis donc dit que ce serait intéressant d’encourager le dialogue, de manière culturelle et économique. Parce qu’on a envie que le cinéma reste un pont entre nos deux pays.
La France attire en ce moment de nombreux tournages américains, de films mais aussi de séries. Il faudrait songer à rebaptiser le festival de Deauville, non ?
Il y a déjà deux grands festivals de séries en France qui font très bien leur travail ! Mais c’est vrai qu’il y a une porosité de plus en plus grande entre le cinéma et la série. Lors de ces rencontres, nous allons parler du film de Coralie Fargeat, The Substance
, un film à capitaux 100% américains, mais tourné intégralement chez nous, tout comme la série de The Walking Dead : Daryl Dixon
. L’idée, c’est de montrer que la France a des atouts que tous les Américains ne connaissent pas. Mais aussi de donner des clés aux producteurs français qui voudraient tenter l’expérience américaine.
Le cinéma indépendant que défend Deauville se fait de plus en plus rare sur les écrans de cinéma, la plupart des films débarquant directement sur les plateformes. Est-ce une fatalité ?
Je ne sais pas si c’est une fatalité, mais c’est une tendance qui est indéniable. Les studios ne produisent presque plus ce type de cinéma et il est de plus en plus dur de réaliser son premier film aux États-Unis car il n’y a aucun soutien public, contrairement à la France. D’ailleurs si on voit peu ces films chez nous en salles, c’est parce qu’ils ont déjà un mal fou à exister sur leur marché et que les plateformes leur offrent un meilleur débouché. Parmi les films qu’on présente cette année, il y a Train Dreams
un film magnifique de Clint Bentley avec Joel Edgerton qui est produit par Netflix. La créativité est toujours là, mais elle change de mode de financement et aussi d’horizons puisque les films que nous présentons viennent du Dakota, du Maine, du Nouveau-Mexique, pas seulement de Los Angeles et de New York.
C’est aussi un cinéma avec une fibre sociale que les studios ont totalement délaissé…
Ce qui est assez sidérant cette année dans notre programmation, c’est le nombre de films sur la paternité, les pères seuls ou en perte de repères. Ça dit peut-être quelque chose de la société américaine en ce moment. Dans un autre registre, nous allons présenter The Chronology of Water
, le premier film de réalisatrice de Kristen Stewart, le portrait d’une jeune femme victime de maltraitance qui se reconstruit par le sport et l’écriture. Ce n’est peut-être pas anodin si une grande star hollywoodienne comme elle est venue chercher une partie du financement en France.
Vous allez également présenter Eleonore The Great
, le premier film de réalisatrice de Scarlett Johansson qui n’a rien à voir avec le Jurassic world
dans lequel on a pu la voir cet été !
C’est un film qui parle de l’antisémitisme, de la transmission, de la mémoire, des liens intergénérationnels. Le cinéma indépendant a ça de très précieux qu’il explore les marges et donne plus de liberté que les studios.
Cette année, Deauville accueille également Katherine O’Keefe qui est une pionnière du métier de coordinateur d’intimité, encore méconnu en France. Nous sommes en retard dans ce domaine ?
La France vient de connaître son #MeToo et on réalise que si le métier de coordinateur d’intimité avait existé plus tôt, de nombreux abus auraient été évités. Moi-même, j’avais des préjugés sur ce métier. Il y a quelques années, je pensais encore que c’était la milice de la morale, et puis j’ai vécu aux États-Unis et j’ai vu comment fonctionnait ce métier, et j’ai trouvé ça passionnant. Katherine O’Keefe a littéralement inventé les formations qui viennent tout juste de se mettre en place, donc oui on est retard. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle ne travaille pas seulement sur les tournages, mais très en amont sur les scénarios afin de permettre aux réalisateurs d’aller encore plus loin dans l’audace lors des scènes de sexe. Mais dans un contexte sûr.
Après l’éviction du jury d’Ibrahim Maalouf l’an dernier, vous avez mis en place une charte sur les violences sexistes et sexuelles. En quoi consiste-t-elle et vous paraît-elle plus nécessaire que jamais ?
C’est bien sûr quelque chose qui doit perdurer dans le temps. Cette charte s’élève contre toute forme de violences et de ségrégation et on l’applique dans tous nos festivals. Elle n’a pas de valeur juridique. L’idée, c’est de poser un cadre pour l’ensemble de l’équipe, pour que ses membres puissent travailler en sécurité et aussi les former à la prévention des violences sexistes et sexuelles. C’est aussi un état d’esprit, un message à tous nos invités, des jurys aux spectateurs.
Votre présidente du jury cette année, c’est l’Iranienne Golshifteh Farahani. Elle incarne tous les combats dont on vient de parler, non ?
C’est vrai qu’elle incarne tout ça. Mais c’est avant tout une légitimité artistique, parce que c’est une immense artiste internationale. Golshifteh Farahani, c’est la grâce, l’audace, le courage, le combat des femmes. C’est un cadeau du ciel !