
L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Alors que le cinéma américain semblait avoir égaré en chemin sa capacité critique, voilà qu’Ari Aster plonge au cœur de la faille, de la déchirure, à savoir le ferment de sécession revenu planer sur l’aigle à tête blanche (symbole des Etats-Unis). Repéré dans les rangs d’une nouvelle vague horrifique (Hérédité, en 2018, puis Midsommar, en 2019), le surdoué de 39 ans, poulain de la société A24, à la pointe de l’indépendance sélecte, réveille avec son quatrième long-métrage un scepticisme qui vient du Nouvel Hollywood des années 1970.
Avec Eddington, Aster poursuit le virage hors du genre amorcé par Beau Is Afraid (2023), vers une fable psychiatrique d’une grande noirceur, imaginée en pleine macération du Covid-19. Au prix d’une satire n’épargnant personne, il colle à quelque chose du nihilisme contemporain, dont le grotesque et l’énormité mordent aujourd’hui sur l’effroyable cirque trumpiste.
Eddington est une petite bourgade du Nouveau-Mexique, dont la caméra caresse le panneau municipal dès l’entame. En ce mois de mai 2020, les mesures sanitaires achèvent de mettre à terre un pacte social et une concorde civile déjà bien entamés. Parmi les fractures qui se creusent, la principale oppose le shérif, Joe Cross (Joaquin Phoenix), gardien de l’ordre sans envergure, asthmatique rétif au port du masque, au maire, Ted Garcia (Pedro Pascal), libéral bon teint rompu à la com et aux cercles d’influence. A l’approche des élections, le premier se lance en campagne contre le second, et son projet de construire un data center rapace – soit le choc du gros bon sens patriote contre l’élite politicienne déconnectée.
Il vous reste 72.97% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.