Elle voit tout. La moustache trop noire d’Hitler, les centimètres qui manquent à une barricade, le trébuchement d’un comédien. Elle entend tout. Le grincement d’une poulie, l’entrée précipitée d’une musique, la fatigue dans les voix. De son siège installé au milieu des gradins, micro dans une main et stylo dans l’autre, Ariane Mnouchkine observe ce qui se passe sur le plateau du Théâtre du Soleil. Rien ne lui échappe, ni du détail ni du plan large. Aurait-elle l’oreille et l’œil absolus ? « Je regarde, j’écoute et je crois ce que font les acteurs. Si je cesse de les croire, c’est que quelque chose ne va pas. Alors il faut s’arrêter et discuter », explique cette sentinelle aux aguets qui n’hésite pas à interrompre le travail d’un « stop ! » tonitruant. Puis le relance d’un impérieux : « On y va ? Silence ! C’est parti. »

En soixante ans de présence à la Cartoucherie du bois de Vincennes, à Paris, jamais la metteuse en scène n’avait ouvert la porte des répétitions à la presse. Cette porte, nous la franchirons semaine après semaine avec d’autres visiteurs : classes de lycéens, amis de passage ou compagnons de route, comme l’autrice Hélène Cixous. Si cette dernière n’a plus écrit de pièces pour la troupe depuis Les Naufragés du fol espoir (2010), elle n’est pas absente pour autant. Conseils ou relectures, elle collabore « en harmonie » aux créations collectives.

Fidèles au poste eux aussi, des collégiens venus et revenus en train de Bourgogne, qui, chapeautés par leur professeur de français, ont même dormi dans la place. « Madame Mnouchkine, s’exclame l’un d’eux, même lorsque la répétition est excellente, vous trouvez toujours des problèmes à résoudre. » Cette définition sur mesure du métier de metteur en scène déclenche l’hilarité. Ce mardi 1er octobre, la journée a été fructueuse. L’humeur est bonne. « C’est difficile le théâtre, mais c’est amusant », dit l’artiste avec un sourire.

Ruche hyperactive

Depuis septembre, par temps froid ou soleil vif, du petit matin jusqu’à la nuit tombante, nous avons donc suivi la fabrication du dernier-né de la troupe du Soleil, Ici sont les dragons. Première Epoque. 1917. La Victoire était entre nos mains. Après six mois d’une intensive préparation collective entamée le 1er avril, ce « grand spectacle populaire inspiré par des faits réels » (dixit le programme) sort du bois pour se montrer au public. Etayée par des événements historiques, portée par une forme puissamment théâtrale, la fresque découle en droite ligne de l’actualité : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022.

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