Jean-Jacques Milteau, à Uzès (Gard), en septembre 2023.

Jean-Jacques Milteau, harmoniciste, né à Paris, en 1950, carrière longue comme un blues sans train, des Victoires de la musique à inonder le Delta, Grand Prix du jazz de la Sacem, trois mandats de président de l’Adami, société de défense et de gestion des droits des artistes et musiciens interprètes. Key to the Highway, l’un des plus réussis de ses trente albums personnels, vient d’être publié. Petite clé pour le ciel : son Marine Band, l’harmonica de poche des vagabonds, des marins et du blues. Trousseau de clés ? La « production » de l’album signée Milteau et Johan Dalgaard, le pianiste, supérieurement soignée.

Quatre invités, quatre pointures de la musique country, soul, rock, folk, ascendant blues. Dans l’ordre d’apparition : Mike Andersen (chanteur et conteur danois, blues sans frontières), Harrison Kennedy (Canadien dont les ancêtres n’ont pas tous échappé à la condition d’esclave dans le Tennessee), Michael Robinson (Chicagoan allé sur la Côte ouest rejoindre Quincy Jones), Carlton Moody enfin (pur « country » aux attaques de baryton crooner).

Quatre voix – deux blanches égalent deux noires –, servies par un orchestre de haute couture : Johan Dalgaard, le maître des claviers ; Laurent Vernerey, à la contrebasse ; une batterie et deux percussionnistes pour le « groove » (Raphaël Chassin, David Donatien et Toma Milteau).

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Soit, à l’heure du succès de Beyoncé en terra incognita, l’occasion rêvée de revenir aux fondamentaux. Deux compositions et huit classiques signés Bob Dylan, Aretha Franklin, Gerry Rafferty, Eric Clapton, etc. De chanson en chanson, de petits poèmes en minifables, Milteau, ses riffs tranchants, ses fulgurances, avec le génie de l’à-propos.

L’accordéon du pauvre

Etrange, quand on y songe, un musicien à la forte présence si discrète, adoubé, au fil du temps, par ses maîtres. Un petit gars de la porte d’Italie à la carrière la moins calculée. Laquelle finit par apparaître, dans le rétroviseur de Key to the Highway, en pleine ascension. L’amitié probablement. Note rigolote en bas de partition : « Le jazz, c’est la version expérimentale et savante de cette fable… Moi, je fais attention aux rythmiques et au son d’ensemble. C’est délicat, ça marche à merveille, mais, franchement, à l’harmonica diatonique, tu ne pars pas gagnant. »

Du temps qu’il n’était qu’un bouffon magnifique, Raymond Devos chantonnait : « L’accordéon, c’est le piano du pauvre… » Mettons que l’harmonica chromatique soit l’accordéon du pauvre : de quels humbles parmi les humbles serait donc le diatonique, le Marine Band ? Pince-sans-rire, Milteau : « Le chromatique, au moins, c’est encore un vrai instrument. » « Ce jeu avec la voix, dans la voix et pour la voix », il en fait son affaire. De tous les instruments, l’harmonica est celui dont on joue au plus près du corps : on le mange, on l’avale, on le baise du bout des lèvres, on s’y engage, corps et âme, souffle et aspirations, changeant ses minuscules possibilités en or pur.

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