Image extraite du documentaire « La Machine à écrire et autres sources de tracas », de Nicolas Philibert.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Le projet était, si l’on peut se permettre, dingo. On ne voit pas qui, hormis Nicolas Philibert, titulaire d’un documentaire salué par le public français en 2002, Etre et avoir, et, par ailleurs, figure majeure du genre, pouvait avoir eu l’audace de le proposer aux autorités filmiques (dont son fidèle partenaire Les Films du Losange), pour une potentielle carrière commerciale en salle. Trois films successifs autour de la folie, articulés selon trois lieux de prise en charge du pôle psychiatrie Paris Centre.

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En avril 2023, on découvrait ainsi Sur l’Adamant, le nom d’une péniche du quai de la Rapée transformée en centre de jour, ouvert aux patients des quatre premiers arrondissements de la capitale. Poétique, semi-fantastique, ravageuse, la folie, non libérée pour autant de la souffrance qui l’autorise, y affirmait, dans la liberté partagée de la psychiatrie dite « institutionnelle », ses droits sur le royaume immaculé de la raison.

En mars 2024, Averroès & Rosa Parks nous faisait en revanche entrer dans le dur d’une vieille structure asilaire, fût-elle libérée des anciennes pratiques, l’hôpital Esquirol à Saint-Maurice (Val-de-Marne). Patients en crise, raison même de leur présence en ce lieu fermé, tension des visages, angoisse palpable, délire qui affleure, y nourrissaient une parole tant bien que mal canalisée et soulagée par les soignants. La Machine à écrire et autres sources de tracas se découvre enfin aujourd’hui, avec ses faux airs de conte surréaliste, clôture légère et bricoleuse de la trilogie, filmée en ville, au domicile de quelques patients.

Propriétaire et réparateurs

Il s’agit en vérité d’y suivre les membres d’un commando très particulier de soignants, autoproclamé « l’orchestre », qui œuvre, toujours en tandem et souvent un kit de tournevis à la main, aux petits travaux de bricolage et d’aménagement dans les appartements des patients. On y retrouve des figures désormais connues de nous, notamment croisées sur le bateau immobile. Patrice d’abord, quinquagénaire ou sexagénaire, chevelure blanche, intérieur fourni. Huit mille poèmes au compteur, à raison de deux par jour. Cela vaut une pharmacopée. Accouchés en écriture manuscrite, ils sont tous tapés à la machine en un second temps, pour la postérité. Quand la machine marche, cela va sans dire.

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Le problème est qu’elle ne marche pas. Le ruban encreur ne se lève plus. Elle occupe donc, dans sa robe de plastique blanc lovée autour de son sourire de métal, le centre du cadre et de la scène. Osons une page de publicité pour cet objet qui n’existe plus de longue date : c’est une Hermes-Precisa. Deux techniciens de choc débarquent, d’une génération qui ne concorde pas avec l’objet d’un âge canonique. La scène devient rapidement insoutenable. Les deux hommes, tournevis en main, tournent autour de la chose, qui serait tombée de la planète Mars que ce serait pareil. Faute de la comprendre, avec ses vis vicieuses, ils la démantibulent sous l’œil terriblement inquiet de Patrice. Puis, sans davantage maîtriser le sujet, la remantibulent. Le miracle intervient ici : la voici qui remarche ! En attendant, la scène est dans la boîte et c’est une opération du Saint-Esprit qui vient d’être filmée : la foi déplace des montagnes et Patrice, qui a une centaine de copies de retard, repart comme en quarante.

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