Récompensé du prix du jury et du prix d’interprétation masculine dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes, « L’Histoire de Souleymane » sort ce mercredi au cinéma.
Le réalisateur Boris Lojkine raconte la course contre-la-montre d’un livreur guinéen qui prépare son entretien de demande d’asile.
Un film bouleversant porté par l’interprétation magistrale d’Abou Sangare, un jeune mécanicien guinéen qui se bat lui aussi pour avoir des papiers.

On les croise tous les jours, sur leurs vélos, pressés de livrer des repas à des citadins qui ne veulent pas attendre. Parfois, on les voit griller une cigarette ou prendre le temps de souffler seul ou en groupe. Beaucoup d’entre eux travaillent sous une fausse identité. De quoi rendre leur quotidien très compliqué, comme le raconte Boris Lojkine avec L’Histoire de Souleymane, un film puissant sur la dure réalité des livreurs à vélo qui sillonnent les grandes villes. 

« L’idée du film a germé durant le confinement, quand les livreurs avaient envahi les rues de Paris. C’est apparu comme une évidence. C’est un sujet qui parle de l’immigration, mais aussi de choses très contemporaines comme l’uberisation du travail. C’est un miroir intéressant à tendre à notre société », explique le réalisateur qui s’intéresse depuis longtemps à la migration. Hope, son premier film, était une histoire d’amour entre deux Africains en route vers l’Europe.

Le film nous permet de regarder la société française d’une autre façon

Boris Lojkine

À mi-chemin entre le thriller et le drame social, L’histoire de Souleymane suit la course contre-la-montre d’un jeune livreur guinéen qui se prépare à passer son entretien de demande d’asile. Alors qu’il sillonne les rues de la ville, il répète le texte qu’il a appris et qui, espère-t-il, l’aidera à obtenir le précieux sésame pour travailler en France. Un film qui prend aux tripes et dont on ressort estomaqués. « C’est une véritable expérience immersive », admet Boris Lojkine, qui ne laisse pas de répit au spectateur, toujours en alerte comme le héros du film.

« On sait que dans deux jours, Souleymane a son entretien. Le compte à rebours est lancé, il est dans une situation d’urgence. Le film nous permet de regarder la société française d’une autre façon, du point de vue de ces Africains en situation précaire qui tentent de se faire une petite place. Ils essaient de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille, mais comme ils n’ont pas de papiers, ils se heurtent à un mur », déplore Boris Lojkine qui a choisi, pour plus de réalisme, de faire appel à des comédiens non professionnels.

Un comédien non professionnel qui illumine l’écran

À commencer par Abou Sangare, qui joue le rôle de Souleymane, et dont la présence illumine littéralement l’écran. « Il a quelque chose d’inexplicable, la caméra l’aime. On a cherché pendant deux mois et demi avant de le rencontrer. On a auditionné deux-cent Guinéens. On a fait un long casting sauvage jusqu’à tomber sur lui, un matin à Amiens, grâce à une association », se souvient Boris Lojkine. « Il est extraordinaire, il a quelque chose en lui qui rend son visage passionnant à regarder. Il a une fragilité qui rend touchant », analyse le réalisateur qui s’est beaucoup inspiré de la véritable histoire d’Abou Sangare pour le personnage de Souleymane.

Abou Sangare se bat lui aussi pour avoir des papiers

Âgé de 23 ans, ce jeune mécanicien qui ne savait ni lire ni écrire avant d’arriver en France se bat, lui aussi, pour avoir des papiers. Débarqué à Amiens à l’âge de 16 ans après avoir quitté son pays et vécu l’enfer comme tant d’immigrés illégaux , il a été confronté à trois refus de régularisation alors même qu’une entreprise locale est prête à lui offrir un CDI. Comme un pied de nez au destin, Abou Sangare a remporté le prix d’interprétation masculine dans la section Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes. 

« C’était schizophrénique de se retrouver à Cannes au milieu des coupes de champagne et des petits fours alors qu’il était dans cette situation compliquée. Le producteur et moi avons poussé toutes les portes pour que les choses aillent plus vite. Abou Sangare a rendez-vous ce jeudi 10 octobre pour déposer à nouveau son dossier pour sa régularisation », confirme Boris Lojkine. S’il a ses papiers, le jeune guinéen ne rêve pas de gloire et de paillettes. Il aimerait juste pouvoir intégrer l’entreprise de mécanique qui lui propose du travail.


Rania HOBALLAH

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