Face au déclin de la France dans les classements internationaux en mathématiques, il s’agit de former autrement.
C’est tout l’enjeu de l’épreuve de « culture mathématique » pour les élèves de première qui entrera en vigueur au printemps 2026.
Mais les modalités de ce projet font déjà débat, le Conseil supérieur de l’éducation a d’ailleurs voté contre.

Malgré des réformes menées ces dernières années, selon l’enquête internationale TIMSS publié en décembre dernier, les élèves français restent parmi les moins bons de l’Union européenne en mathématiques et en sciences. Pire, il y a un an, la dernière étude Pisa de l’OCDE évaluant les performances scolaires de 81 pays avait pointé une baisse « historique » du niveau en mathématiques en France. Face à ce constat pas très glorieux, un projet d’épreuve de mathématiques en classe de première entrera en vigueur au printemps 2026. 

Cette mesure du « choc des savoirs » de l’ex-ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, a été présenté mardi 1er avril devant une instance consultative de l’Éducation nationale, étape-clé avant sa publication. Cette épreuve écrite d’une durée de deux heures sera « affectée d’un coefficient 2 » (points pris sur l’épreuve du Grand oral en terminale), selon ces textes, consultés par l’AFP. Mais contre toute attente, ce Conseil supérieur de l’éducation (rassemblant syndicats, associations de parents, collectivités…) a voté largement contre. Un vote indicatif qui n’empêche pas la mise en œuvre de la réforme, selon des sources syndicales. 

Un QCM corrigé automatiquement

Mais pourquoi cette mesure a-t-elle suscité un tel rejet ? Au-delà du fait que cette nouvelle épreuve « alourdit la fin de l’année pour les élèves et les correcteurs », ce qui fait surtout réagir, c’est la première partie, commune à tous les élèves, qui « sera sous forme de QCM et pourrait être corrigée automatiquement », ce à quoi « de nombreuses organisations syndicales sont opposés ». 

Pour Younss Messoudi, professeur de mathématiques à l’ESTACA, un établissement d’enseignement supérieur et fondateur de Jai20enmaths, cela n’a en effet aucun sens. « Avec un QCM, on a un choix parmi quatre. Or si l’élève choisi une réponse au hasard, et qu’on ne lui demande pas de se justifier, il peut avoir bon avec de la chance. Mettez-vous alors à la place d’un professeur qui évalue sa classe et qui ne va pas être en mesure de connaître réellement les compétences maîtrisées ou non », dit-il à TF1Info, avant d’ajouter : « En outre, si vous faites corriger de manière automatique, vous n’allez pas pouvoir avoir un état des lieux des erreurs et du raisonnement fait ». 

On va demander de faire de la culture scientifique. Mais aujourd’hui, est-ce que nous, professeurs de mathématiques, on a des compétences pour pouvoir faire de la vulgarisation ?

Younss Messoudi, professeur de mathématiques à l’ESTACA

À un an de la mise en œuvre de l’épreuve, son contenu pose également question. « En fait, on va demander de faire de la culture scientifique. Mais aujourd’hui, est-ce que nous, professeurs de mathématiques, on est prêts ? Est-ce qu’on a des compétences pour pouvoir faire de la vulgarisation, pour pouvoir faire une approche un peu interdisciplinaire de cette matière et des liens avec la société ? », interroge Younss Messoudi. Pour ce professeur, « ça s’apprend ». « Il faut qu’on ait des manuels. Il faut laisser le temps aux équipes pédagogiques de se préparer. Ensuite, est-ce que cette matière ne va pas être une espèce de matière gadget ? Est-ce que ça sera valorisé sur Parcoursup ? Aujourd’hui, on est dans le flou », déplore-t-il.

L’enseignant s’inquiète par ailleurs « des inégalités scolaires qui vont encore s’accroître ». « Depuis la réforme Blanquer de 2019 qui a supprimé les maths en première, si certains élèves sont certains qu’ils vont arrêter cette matière, ils ne font plus rien dès la seconde. Parce que vous pouvez avoir zéro en maths, ça ne vous empêchera pas de passer en première. Du coup, ceux-là vont devoir cravacher un peu plus parce qu’ils ont cette épreuve en fin de première. Mais est-ce qu’on aura les conditions matérielles et humaines pour les aider ? », prévient-il.

Pour autant, selon Younss Messoudi, tout n’est pas à jeter dans cette mesure, loin de là. Ce projet est même « une très bonne nouvelle, car il permettrait de relever le niveau scientifique de nos jeunes », dit-il. « En effet, ils sont aujourd’hui trop nombreux à arrêter les mathématiques dès la seconde alors qu’avec cet examen, ils bénéficieront d’un an et demi supplémentaire d’enseignement. De quoi acquérir un socle scientifique solide, au moins pour les non-spécialistes, avec les fondamentaux comme le calcul, les équations, le pourcentage et de garder des compétences de mathématiques. Un sésame essentiel pour Parcoursup, quoiqu’on en dise. De plus, appréhender les maths par le biais des domaines de prédilection des jeunes, comme l’IA, l’informatique, les data science, va permettre de leur donner des bases pour appréhender, comprendre, analyser ce qui les entoure », explique-t-il.

L’enseignant est par ailleurs certain que cette ouverture interdisciplinaire permettra aux élèves de « donner du sens aux maths et de renforcer leur esprit critique ». « Aujourd’hui, dans un monde où on est saturé de chiffres avec des sondages, des statistiques, il faut qu’on arrive à les lire, les interpréter, et se questionner. Cet enseignement de culture scientifique pourra donner aux élèves de manière générale un esprit lucide et surtout leur permettre d’aborder avec les ressources suffisantes les fake news des discours scientifiques », conclut-il.

Virginie FAUROUX

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