Faute d’ouverture vers la gauche lors des discussions en commission mixte paritaire (CMP) sur le budget, « il y aura une censure dans l’hémicycle » de l’Assemblée nationale, a prévenu, jeudi 30 janvier, le député Philippe Brun (Parti socialiste, PS). Ce dernier est chargé de négocier au nom de son parti dans ce conclave de sénateurs et de députés qui a commencé à se réunir jeudi matin.
Sept députés et sept sénateurs se retrouvent à l’Assemblée nationale pour tenter de s’entendre sur une version commune du budget de l’Etat, examinée le cas échéant par les députés lundi, avec sans doute le premier recours à l’article 49.3 de la Constitution de François Bayrou. Il s’agit d’une étape cruciale, mais qui ne préjuge pas du sort final du texte.
La CMP, qui a commencé ses travaux à 9 h 30 et pourrait si nécessaire les poursuivre vendredi, est dominée par la coalition gouvernementale, avec huit parlementaires issus de ses rangs. Une composition qui présage d’une issue favorable des débats, malgré des divergences de vues entre la droite et les macronistes. « Il va falloir être capable de trouver des compromis et j’ai bon espoir que nous y arrivions », a plaidé M. Brun jeudi matin. « Nous sommes très ouverts au dialogue. J’attends maintenant des macronistes, des LR, d’être aussi ouverts pour trouver un chemin avec nous », a complété M. Brun.
Interrogé sur les lignes rouges de son parti, M. Brun a affirmé que le PS ne laisserait « pas passer » un « budget d’austérité », un budget qui « sabre dans les services publics de manière importante », un budget qui ne mettrait « pas en place davantage de justice fiscale » ou qui « sacrifierait l’écologie ». Plus sibyllin, le patron des députés socialistes, Boris Vallaud, s’est contenté de dire : « Nous avons des propositions de réécriture et nous les défendrons ». Les négociations entre le gouvernement et le Parti à la rose, engagées depuis plusieurs semaines, s’étaient interrompues mardi après la sortie de François Bayrou sur « le sentiment de submersion » migratoire selon lui ressenti par les Français.
Mais les socialistes ne sont pas les seuls mécontents. Selon plusieurs participants jeudi en CMP à l’Agence France-Presse, le Rassemblement national a également haussé le ton, menaçant le gouvernement d’une censure s’il maintient d’ici lundi un article qui réforme la tarification de l’électricité en France avec un mécanisme de partage des revenus du nucléaire. Au cours des débats à huis-clos jeudi, les quatorze parlementaires ont approuvé la limitation à un an de la contribution exceptionnelle pour les grandes entreprises, au lieu de deux dans la version adoptée par le Sénat. Le gouvernement en attend huit milliard d’euros de recettes.
En cas d’accord trouvé en CMP, les conclusions de celle-ci seront examinées dans l’hémicycle de l’Assemblée lundi et au Sénat le 6 février. Faute de majorité certaine au Palais Bourbon, le premier ministre devrait faire usage de l’article 49.3 pour faire adopter le texte sans vote, s’exposant pour la deuxième fois à la censure des députés.
« Une idée irresponsable », juge Gérard Larcher
Jeudi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a appelé le groupe de Boris Vallaud à la « responsabilité ». « Est-ce qu’on peut continuer à être sans budget, avec les conséquences que ça a au quotidien pour les citoyens, pour les collectivités territoriales, pour le monde économique ? », a-t-il interrogé sur France 2.
Au sein du socle commun aussi, les discussions se sont poursuivies pour trouver un terrain d’entente. Les deux chefs de file des discussions en CMP, le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson (Les Républicains), et le représentant des députés Renaissance, David Amiel, ont multiplié ces derniers jours les rendez-vous pour accorder leurs points de vue. « Cela avance plutôt bien, il reste quelques ajustements, mais les choses sont bien engagées », s’est félicité mercredi M. Husson auprès de l’Agence France-Presse, escomptant que la copie issue de la CMP permette au gouvernement de réduire le déficit à 5,4 % du PIB comme prévu, au prix d’un effort budgétaire de 50 milliards d’euros.
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« Je vois difficilement comment [la CMP] ne serait pas conclusive », a observé le président de la commission des finances, Eric Coquerel (LFI) sur TF1, déplorant de son côté « un budget plus austéritaire » que ne l’était celui de Michel Barnier, censuré début décembre.
Parmi les sujets les plus clivants au sein du socle commun : l’aide médicale d’Etat (AME) réservée aux étrangers en situation irrégulière, dont la droite souhaite voir les crédits diminuer de 200 millions d’euros, contre l’avis de la ministre du budget, Amélie de Montchalin, et de nombreux macronistes. Les socialistes en font même « une ligne rouge » absolue. In fine, la version commune proposée MM. Husson et Amiel devrait acter cette réduction, selon une source parlementaire.
« On marchera sur un fil étroit »
LR a fortement poussé en ce sens. « Pour nous, un budget de l’AME auquel on ne touche pas, ce n’est juste pas possible, a souligné mercredi un responsable du parti auprès de l’Agence France-Presse. On ne peut pas avoir un premier ministre qui nous parle de submersion migratoire, mais qui n’en tire aucune conséquence. »
Le président de Renaissance, Gabriel Attal, qui avait souhaité après la chute de Michel Barnier que le socle commun sorte de la tutelle du Rassemblement national (RN), a apporté mercredi son soutien à François Bayrou dans sa recherche d’un accord avec les socialistes. « Personne, aucun groupe politique n’est totalement satisfait par ce budget. C’est peut-être la preuve qu’il y a une forme de compromis », a-t-il jugé. La droite met de son côté en garde contre des concessions excessives : « Un coup de pouce au smic, ça ne répond pas au sujet », a ainsi jugé le cadre cité plus haut.
« On marchera sur un fil étroit, en tentant de pencher ni trop à gauche, pour éviter que la droite ne vote plus le texte, ni trop à droite, car les socialistes le censureraient », a prévenu mercredi la sénatrice Christine Lavarde, cheffe de file budget du groupe LR, et membre de la CMP.