Les arnaques sentimentales concernent chaque année des milliers de personnes.
Ceux qui tirent les ficelles opèrent généralement depuis l’étranger et sont surnommés des « brouteurs ».
Le JT de TF1 a retrouvé l’un d’eux en Côte d’Ivoire.

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LE WE 20H

« Comment j’ai pu me laisser avoir de cette façon avec des échanges aussi stupides ? » Cette question tourne en boucle dans la tête de Marie-Jacqueline. Car son amourette virtuelle lui a coûté très cher. Tout commence il y a cinq ans en plein confinement. Cette retraitée vit seule et tue le temps sur Facebook. « Je tombe sur quelqu’un qui me dit : ‘J’aimerais bien être ami avec vous. Est-ce qu’on peut se parler ?' », se souvient-elle. « Après, on se laisse un peu prendre au jeu », admet-elle dans la vidéo ci-dessus. 

Marie-Jacqueline ne le sait pas encore, mais l’homme qu’elle voit en photo n’est pas vraiment celui qu’elle croit. C’est un escroc qui a créé un faux profil en usurpant l’identité d’un célèbre entrepreneur français pour gagner sa confiance. 

J’ai perdu 14.000 euros. C’était de l’argent que j’avais mis de côté pour ma retraite

Marie-Jacqueline, victime d’un brouteur

« Ce qui m’a séduite en fait, c’est qu’il m’a parlé comme un vrai amoureux. Jamais un homme ne parle comme ça : je t’aime ma chérie, on va vivre ensemble, tu verras », dit-elle. Des échanges uniquement par message. Elle n’a jamais reçu d’appel et il n’y a jamais eu de rencontre. « C’était tellement charmant sa façon de parler, je crois que je me suis laissée avoir par ça », avoue-t-elle. Le rêve aura duré plusieurs semaines, mais peu à peu le piège se referme. L’homme qu’elle n’a pourtant jamais vu finit par lui demander de l’argent. Il prétend vendre des voitures entre l’Espagne et la France. « Et il dit, en ce moment, avec le confinement, mes voitures sont bloquées à la frontière espagnole, soi-disant qu’il y avait des intérêts à payer », précise Marie-Jacqueline. Il lui demande d’avancer des frais de douane pour débloquer le problème. D’abord de petits virements puis très vite des centaines d’euros. « J’ai perdu 14.000 euros dans la situation. C’était de l’argent que j’avais mis de côté pour ma retraite. Ils sont partis en fumée », se désole-t-elle. 

« Facebook, Instagram ou les sites de rencontre »

Comme l’actualité l’a récemment mis en exergue, Marie-Jacqueline n’est pas la seule à être victime de ce genre d’escroquerie sentimentale. Chaque année, près d’un millier de Français, femmes et hommes confondus, tombent dans le piège. C’est principalement en Afrique de l’Ouest que vivent ces arnaqueurs qu’on appelle des « brouteurs ». Leur fief : Abidjan en Côte d’Ivoire. Le JT de TF1 s’est rendu sur place pour tenter d’en rencontrer. Après plusieurs jours de négociations, l’un d’eux finit par accepter, sous couvert d’anonymat, de montrer comment il opère. Nous l’appellerons Cédric. Son matériel : deux chaises de jardin et un simple ordinateur connecté à internet. « On les prend parfois sur Facebook, Instagram ou les sites de rencontre, ça dépend », explique-t-il.

Pour attirer ses victimes, Cédric récupère de vraies photos et des vidéos accessibles à tous sur les réseaux sociaux. Le jour du reportage, il a besoin de voler l’apparence d’un homme, d’un journaliste qui poste beaucoup de photos de lui sur Instagram, y compris avec sa fille. Un profil idéal pour séduire une retraitée vivant en Allemagne. Cédric s’est même procuré une carte d’identité, qu’il a trafiquée pour mettre sa nouvelle cible en confiance. Totalement décomplexé, il appelle sa victime devant la caméra de TF1. La victime croit échanger avec un bon père de famille, en vidéo. « Là, elle ne peut pas entendre. Je lui ai dit que j’avais un souci avec le micro. À chaque fois qu’elle est seule ou à chaque fois qu’elle a besoin de quelqu’un à qui parler, je suis là. C’est une mise en confiance », assure-t-il. Il poursuit : « Quand elle va voir la petite fille, elle sera plus émerveillée, plus éblouie. Ça la rend plus amoureuse ».

La problématique de cette arnaque au sentiment, c’est que ça fait entrer la victime dans une forme de déni

Sébastien Possemé, chef de la compagnie numérique de la gendarmerie

Certains brouteurs ont fait fortune et gagnent jusqu’à 100.000 euros par mois. Dans ce pays en développement, où les emplois sont rares et précaires, s’enrichir sur le dos des Occidentaux est considéré par certains comme le moyen le plus rapide de gravir l’échelle sociale. La nuit, à Abidjan, il n’est d’ailleurs pas rare que les brouteurs exhibent leur gain et flambent dans les clubs pour afficher leur statut. « On boit du champagne parfois et tard dans la nuit, il y aura des filles. C’est un fléau, tout le monde est pareil. Ils font la même chose que moi. Toute la jeunesse à Abidjan, c’est comme ça », reconnait Cédric.

La Côte d’Ivoire a créé une cellule chargée de traquer ces cybercriminels, mais les arrestations sont rares. En France, il est désormais possible d’appeler une unité de gendarmes spécialisés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ils traitent plusieurs signalements par jour. Le plus souvent, ce ne sont pas les victimes qui appellent, mais leurs proches. « La problématique de cette arnaque au sentiment ou cette arnaque à la romance, c’est que ça fait entrer la victime dans une forme de déni. Les choses durent longtemps. Et c’est bien souvent la famille qui révèle, à la connaissance de la justice ou des gendarmes ou des policiers, que la personne est victime de cette arnaque, parce qu’elle n’y croit pas », souligne Sébastien Possemé, chef de la compagnie numérique de la gendarmerie.

Au moindre soupçon, il faut agir vite, car l’argent versé volontairement est presque impossible à récupérer. Chaque année, les brouteurs, quel que soit leur stratagème, soutirent 50 à 100 millions d’euros à des victimes françaises.


Virginie FAUROUX | Reportage TF1 : David de Araujo et Frédéric Mignard

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