• Les Vérificateurs consacrent une série aux légendes urbaines et aux croyances populaires.
  • L’objectif : revenir sur ces rumeurs transformées en vérités au fil des années.
  • Cette semaine, on se demande si « on n’utilise que 10% de notre cerveau ».

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L’info passée au crible des Vérificateurs

C’est une rumeur dont la célébrité est telle qu’elle s’invite dans des films. L’humain n’exploiterait qu’une infime partie de ses capacités cérébrales. D’après la légende, on n’utiliserait même « que 10% de notre cerveau », se privant de certaines aptitudes extraordinaires. Un postulat qui a inspiré le grand écran, dont le désormais culte Lucy. Dans cette science-fiction de Luc Besson, une jeune étudiante de 25 ans ingère une pastille expérimentale. Celle-ci débloque le verrou qui limitait son cerveau et lui permet d’exploiter pleinement ses facultés.

Un « neuromythe » démenti par les preuves

Pourtant, malgré sa popularité, cette affirmation est totalement erronée. C’est ce qu’ont démontré les neurosciences (nouvelle fenêtre) à maintes reprises. D’après les experts de ce courant de la biologie, chargé d’étudier spécifiquement le fonctionnement du cerveau et du système nerveux, cette idée reçue est improbable. 

À l’instar de Christophe Rodo, neuroscientifique passé par la recherche et l’enseignement à Aix-Marseille Université. Dans un article publié (nouvelle fenêtre) par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ce spécialiste rappelle que notre cerveau « correspond à 2% de la masse du corps pour une consommation de 20% des ressources énergétiques de l’ensemble de l’organisme ». Une telle disproportion rend « invraisemblable que notre espèce ait pu conserver un organe consommant une telle quantité de ressources pour un rendement aussi faible ». Si ce mythe (nouvelle fenêtre) était biologiquement avéré, cet organe aurait dû être modifié au fil des évolutions afin d’atteindre un rendement plus efficace.

De plus, aucune imagerie cérébrale, ni aucune étude scientifique n’a jamais démontré l’existence d’une zone totalement silencieuse dans le cerveau. Mais pas besoin d’IRM pour le savoir, puisqu’on l’observe dès qu’une quelconque région du cerveau est lésée. Il s’ensuit automatiquement un déficit, qu’il soit moteur, sensitif ou cognitif. Si 90% de notre cerveau était inutilisé, alors les lésions cérébrales devraient très largement être bénignes. C’est tout le contraire : la plus légère lésion peut avoir de lourdes conséquences.

Ce ne sont que trois des nombreux arguments scientifiques qui démentent cette croyance. Dans une étude à ce sujet (nouvelle fenêtre) publiée en 2004, le neurologue Barry Beyerstein a proposé jusqu’à sept types de preuves différentes pour réfuter le « mythe des dix pour cent ».

Cette rumeur fait miroiter un idéal

Martine Roberge, professeure d’ethnologie à l’université Laval

Mais vingt ans plus tard, ce « neuromythe », pour reprendre l’expression du CNRS, persiste. C’est même la fausse information la plus répandue en psychologie, d’après une analyse publiée en 2018 (nouvelle fenêtre). Un phénomène qui possède deux raisons principales. À commencer par son origine. Si la source de la rumeur n’est pas clairement établie, elle se maintient car elle repose « sur une trop grande simplification du fonctionnement du cerveau », pour reprendre l’explication (nouvelle fenêtre) du Muséum national d’Histoire naturelle. Ainsi, le cerveau présente bien un ensemble de zones utilisées « de manière intermittente ». C’est-à-dire qu’une seule activité, comme la lecture, va activer plusieurs zones du cerveau, qui ne fonctionnent pas toutes en même temps, mais sont connectées. Aucune n’est éteinte ou inactive.

C’est cette idée d’un cerveau mal exploité qui fait « miroiter un idéal », l’existence possible d’un « surhomme », relève Martine Roberge, professeure d’ethnologie à l’université Laval. Un fantasme qui d’ailleurs été mis à profit dans les années 90 (nouvelle fenêtre)par les médiums et les partisans du paranormal pour justifier l’existence de prétendus pouvoirs psychiques. C’est tout le cœur de la popularité de cette rumeur.

Une légende qui coche tous les critères

Mais pour notre interlocutrice, la longévité de ce « neuromythe » s’explique aussi parce qu’il réunit les critères nécessaires à la création d’une légende urbaine, faite pour durer. « Celle-ci s’appuie sur un dialogue entre trois paradigmes », avance-t-elle. « Le réel, ce qui fait partie de l’ordre, la nature ; le possible, qui nous semble probable ou plausible ; et l’imaginaire, le monde de ce qui n’existe pas », résume l’autrice de l’ouvrage De la rumeur à la légende urbaine (nouvelle fenêtre).

Or cette idée reçue répond parfaitement à ce schéma. Elle mélange le réel, ici le fait scientifique selon lequel l’humain utilise différentes zones du cerveau de manière intermittente. Le possible, avec certains individus atteints de trouble du spectre de l’autisme et présentant un haut potentiel intellectuel. Et enfin l’imaginaire avec la fiction qui propose régulièrement des humains aux capacités extraordinaires.

Que ce soit le film Limitless, arrivé sur les écrans en 2011 et dans lequel le héros en mal d’inspiration développe un potentiel hors du commun en débloquant les « limites » du cerveau, ou son équivalent français Lucy, sorti en 2014, chacun de ces films s’est appuyé sur cette légende urbaine, mais l’a aussi nourrie. Ils ont participé à diffuser et amplifier ce « neuromythe ». Et à lui offrir une postérité qui traverse les générations.

Retrouvez très bientôt un nouvel épisode des « Légendes urbaines ». Si vous souhaitez que nous revenions sur une rumeur à laquelle vous avez longtemps cru, écrivez-nous à l’adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur X : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.

Felicia SIDERIS

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