La justice a mis à l’arrêt le chantier de l’A69 entre Castres et Toulouse en raison de l’absence de « raison impérative d’intérêt public majeur ».
Un motif identique à l’annulation du contournement du village de Beynac, en Dordogne, en 2020.
Là aussi, les travaux avaient commencé et le département a été condamné à détruire les ouvrages construits, écopant d’astreintes financières pour ne pas l’avoir fait.
Le président du département, Germinal Peiro, porte un nouveau projet d’aménagement et appelle à une réforme du droit.

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Initiatives environnementales

« Si tout s’arrête, la collectivité aura perdu 50 millions d’euros. » À l’heure des comptes, le président PS du département de la Dordogne, Germinal Peiro, est dépité. Le projet de contournement du village de Beynac est dans les cartons depuis… 1985, et pourtant, sur place, rien n’a bougé ou presque. 

Le projet d’aménagement du village de 500 habitants a été définitivement retoqué par la justice administrative en 2020, pour les mêmes raisons que l’arrêt du chantier de l’A69, entre Toulouse et Castres : les juges puis le Conseil d’état ont estimé qu’il n’y avait pas de « raison impérative d’intérêt public majeur « (RIIPM), l’un des critères qui, s’il est rempli, permet de déroger à l’obligation de protection des espèces protégées.

12.000 voitures traversent le village l’été

« Le village de Beynac est coincé entre la falaise et la Dordogne », décrit Germinal Peiro. « À deux endroits dans le bourg, deux camions ne peuvent pas se croiser. Quand ils se retrouvent face à face, ils doivent manœuvrer, faire marche arrière. Cela crée des embouteillages et pose des problèmes de sécurité. »

D’autant que le village est touristique, notamment en raison de la présence de quatre châteaux classés, dont le château de Beynac, érigé au XIIe siècle. « Jusqu’à 12.000 voitures traversent le village chaque jour l’été, et entre 150 et 300 camions », rapporte le président du département.  

Pas de quoi autoriser la destruction d’espèces protégées. Particulièrement les oiseaux qui nichent sur les bords de la Dordogne, a estimé la justice administrative.

Des piles de pont au milieu de la rivière

Problème : le projet ayant bénéficié, comme l’A69, des autorisations de l’État, parmi lesquelles l’autorisation environnementale, les travaux avaient été lancés. Une partie de la route, qui devait au total faire 3,2 kilomètres, avait été construite ainsi que les piles du futur pont, au milieu de la rivière. 

Le département avait donc été condamné à remettre le site en l’état, et à détruire les piles du pont. Sous peine d’astreintes. Faute de l’avoir fait, le département a d’ores et déjà payé 1,9 million d’euros d’amendes. 

Mais malgré ces revers, le président socialiste n’abandonne pas pour autant son projet, et en propose une nouvelle version « écolo », dit-il. Il prévoit ainsi une voie verte, la réouverture d’une gare entre Bordeaux et Sarlat, ou encore la mise en place de navettes électriques au départ de celle-ci et à destination des quatre châteaux qui accueillent chaque année 800.000 visiteurs. Dans ce projet, figure, bien sûr, la sécurisation de la traversée du village de Beynac.

Un nouveau projet validé par la préfecture

Et l’histoire se répète : le département obtient toutes les autorisations nécessaires pour lancer ce projet, dont l’autorisation environnementale signée par le préfet. 

Le préfet estime ainsi que « le projet de boucle multimodale comporte suffisamment d’éléments nouveaux pour pouvoir être considéré comme un projet différent » et qu’il est d’intérêt public pour des raisons de sécurité et de développement économique et touristique. 

De quoi lancer les travaux ? Pas pour Germinal Peiro, qui, marqué par le précédent, a promis d’attendre que tous les recours juridiques soient purgés avant de lancer le chantier. De fait, des recours ont déjà été déposés par des propriétaires de châteaux, qui, selon l’élu socialiste, « ne veulent pas voir la route depuis leurs châteaux« . 

Entre 28 et 32 millions d’euros de gâchis selon les commissaires au compte

Surtout, le département attend un signe, d’ici un ou deux mois, de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Car le projet prévoit… De réutiliser les piles du pont issues du projet annulé en justice. « Pour nous, ça tombe sous le sens », explique Germinal Peiro. « Détruire les piles du pont causerait de nouveaux dégâts dans la rivière, donc mieux vaut les réutiliser. Il s’agit aussi d’éviter entre 28 et 32 millions d’euros de gaspillage d’argent public, tel que chiffré par les commissaires aux comptes.« 

Le département a donc saisi la cour d’appel pour demander la suspension des astreintes, liées à l’absence de démolition des piles, dans l’attente du jugement au fond sur le nouveau projet, qui fait donc l’objet de recours. Une « situation ubuesque« , juge Germinal Peiro, qu’il compare à celle de l’A69.

Avancer l’étude de la « raison impérative d’intérêt public majeur » ?

Dans une motion votée mercredi en conseil départemental, les élus demandent donc au gouvernement « de modifier le droit » pour éviter ce type de paralysie et le décalage, entre les autorisations données par les services de l’État et le résultat des recours en justice. « Il faut faire cesser cette situation dans laquelle la République accorde une autorisation puis, un ou deux ans après, la même République la retire et vous demande de remettre en l’état », explicite Germinal Peiro.

Pour l’élu, il s’agirait donc d’étudier la question de la raison impérative d’intérêt public majeur au tout début des projets d’infrastructure. De fait, une loi le permet déjà. « La loi industrie verte de 2023 permet aux projets industriels stratégiques de bénéficier d’une reconnaissance anticipée de la RIIPM », précise ainsi Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement. « Mais cela n’empêche pas ce décret d’être, lui aussi, attaqué par des opposants. Et dans tous les cas, le porteur de projet doit aussi remplir les autres critères l’autorisant à déroger à l’obligation de protection des espèces protégées. »

Une nouvelle loi ?

Toutefois, le dispositif pourrait encore évoluer. Un amendement au projet de loi sur la simplification de la vie des entreprises, examiné cette semaine à l’Assemblée, prévoit toute une liste de projets, dont les projets d’infrastructures déclarés d’utilité publique (comme l’A69, par exemple) qui seraient « réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur « .

« Compliqué », estime Dorian Guinard, maître de conférences à l’université de Grenoble. « Comment, en l’état, au stade de la déclaration d’utilité publique d’un projet (DUP), serait-il possible d’analyser la raison impérative d’intérêt public majeur sans même connaître avec exactitude la totalité et la nature des impacts sur les espèces protégées ? »

Pour Germinal Peiro, si rien n’est fait, « tous les projets seront à l’arrêt en France ». L’élu, engagé sur les sujets environnementaux, avec entre autres des engagements sur le « zéro pesticide » et les circuits courts dans le département, insiste : « Je ne suis évidemment pas pour que l’on fasse n’importe quoi et qu’il n’y ait plus de précaution prise dans ce type de projet, mais il faut faire évoluer le droit pour faire en sorte qu’un projet autorisé ne puisse plus être attaqué.« 

Marianne ENAULT

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