Ils se font passer pour des clients lambdas, mais n’en sont pas vraiment.
Leur mission : enquêter sur la qualité d’un séjour hôtelier, l’accueil dans une gare ou encore les prestations d’une maison de retraite.
Le magazine Grands Reportages a suivi pendant plusieurs mois quatre clients mystères, une pratique qui n’est pas de tout repos.

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Galères de vacances

Derrière leurs airs de monsieur et madame tout le monde, les clients mystères sont missionnés pour tester l’accueil, la qualité et l’efficacité d’un service ou d’une prestation auprès d’hôtels, de restaurants, de boutiques, de voyagistes, voire de maisons de retraite. Si la tâche paraît simple, il faut être capable de jouer un rôle en fonction de la mission, d’incarner un personnage et de se préparer à réagir naturellement en cas de questions, en préservant sa couverture à tout prix. En deux mots : il faut être un vrai caméléon. 

On arrive avec quatre minutes de retard, ce sera mis dans le rapport

Baptiste, étudiant

C’est justement le profil de Baptiste, un étudiant en BTS commerce de 19 ans. Sa spécialité est de passer incognito dans les gares et à bord des trains pour contrôler le travail des agents SNCF. Propreté des toilettes, inclinaison du siège, fonctionnement des installations électriques, Baptiste teste tout en se faisant passer pour un voyageur lambda. Une fois à bord, il enfile sa casquette d’espion et rien ne lui échappe. « Je vérifie si l’eau coule bien, si le sèche-mains fonctionne, si le savon est présent et la propreté des toilettes en général », dit-il dans le reportage ci-dessus.  

Mais l’essentiel de son travail consiste à contrôler celui des agents SNCF.  « Là, je prends une photo parce que la cheffe de bord n’avait pas une tenue conforme. La veste qu’elle a, c’est une veste de rugby ! Il y a un petit côté espion quand même, mais je vois surtout ça comme une manière d’améliorer la qualité de service rendu par l’entreprise ferroviaire à ses clients ». Pour cette mission d’une heure trente, Baptiste sera payé soixante euros. « On arrive avec quatre minutes de retard, ce sera mis dans le rapport », conclut-il. Rien que l’an dernier, il a parcouru plus de 100.000 kilomètres à bord des trains. Rémunéré au trajet, jusqu’à trois dans la même journée, le jeune homme a réussi à mettre de côté depuis deux ans 10.000 euros.

Là, il y a un cheveu, clairement, ce n’est pas très glamour

Chi Way, entrepreneur

Chi Way, entrepreneur dans le digital, sa femme, Sophie et leur fils Noé, vivent en région parisienne et eux, ils sont des adeptes des missions secrètes en famille. Pour la première fois, ils vont s’infiltrer durant une semaine dans un village vacances au Cap Ferret. Du club enfant, au restaurant, en passant par le bungalow et les activités sportives, ils vont devoir tout passer au crible sans se faire repérer. Mais ces vacances tous frais payés sont-elles vraiment un bon plan ? Avant de partir, la famille doit d’abord recevoir les consignes pour sa mission. Une fois sur place, elle devra répondre à 300 questions en apportant des commentaires détaillés. Ce seront donc des vacances studieuses avec un programme chargé concocté par l’agence de recrutement. Pas question de passer son temps à profiter de la piscine ! 

À peine arrivé, Chi Way inspecte chaque pièce. Méthodique, il ne laisse rien passer. « Là, il y a un cheveu, clairement, ce n’est pas très glamour (…) On voit aussi que les vitres n’ont pas été nettoyées depuis un moment et il y a des traces de poussière sur la lampe », constate-t-il, un peu déçu. « Ça manque de chaleur, de couleur, de gaité », énonce-t-il. Place maintenant aux parties communes du village, avec son centre névralgique, la piscine. « La température de l’eau est agréable, il y a de l’espace », se réjouissent-ils. Et il ne faut pas chômer, la famille a dix activités à pratiquer en une semaine. Noé doit aussi tester toutes les infrastructures pour les enfants. Enfin, le couple doit passer au crible un point essentiel : la restauration. « Il y a un bel assortiment, on voit la fraîcheur de la salade », détaille Chi Way, qui photographie chaque plat dégusté. Mais pour la suite du repas, c’est la déception qui prédomine, ce qui pourrait bien dévaluer sa note. 

Au final, cette mission mystère, aussi agréable soit-elle, c’est aussi beaucoup de travail avec soixante pages à remplir, soit dix heures pour venir à bout du questionnaire. Ce n’est qu’une fois ce rapport validé par l’agence que la famille sera remboursée des quelque 1950 euros qu’ils ont déboursés pour cette mission. 

Cela veut dire qu’il y a de l’humain.

Josette, retraitée

Femme aux mille visages, celle que nous appellerons Josette n’a pas son pareil pour échafauder des scénarios. « Être client mystère, c’est ne pas être reconnu, donc il faut absolument que ce soit plausible et que le personnage colle à l’histoire. Je m’adapte comme au théâtre ou au cinéma », affirme-t-elle. Depuis cinq ans, cette ancienne cadre de santé de 65 ans, évalue des maisons de retraites pour un comparateur en ligne qui en recense 16.000 dans toute la France. Pour l’occasion, elle s’invente un nom d’emprunt, change radicalement de silhouette, grâce à un lot de perruques, et se fait passer pour une personne qui cherche à placer un père , un oncle ou une tante. Pour chaque établissement à visiter, elle improvise une intrigue différente. 

La voici à Marseille dans un Ehpad haut de gamme, à 3 100 euros par mois, mais mal noté sur le site par les familles de résidents. Josette note des prestations de qualité dans les parties communes et les chambres individuelles et salue le fait d’avoir été reçue par le directeur. « Cela montre qu’il peut être disponible auprès des gens (…) Cela veut dire qu’il y a de l’humain », estime-t-elle. Après une visite d’une heure, elle mettra une très bonne note à l’établissement. Titulaire d’un master en gérontologie, c’est avant tout par conviction que Josette a choisi de jouer à l’espionne. 

« C’est souvent culpabilisant de laisser un membre de sa famille, alors que ce site peut être rassurant quelque part et peut orienter les aidants. Quand je fais des visites mystères, cela répare un peu la souffrance que j’ai ressentie au moment où moi, j’ai été confrontée à cela, quand j’ai dû laisser ma mère dans un Ehpad », souligne-t-elle. En cinq ans, Josette a déjà évalué plus de 400 établissements

On se montre critique, mais c’est pour signaler des dysfonctionnements

Franck et Françoise, retraités

Enfin, qui pourrait se douter que Franck et Françoise, retraités de plus de 70 ans, sont des clients mystères… intransigeants ? Pour vivre une seconde jeunesse et une retraite très active, ils ont déjà fait plus de soixante visites mystère en binôme et acceptent toutes les missions, tant qu’elles les sortent de leur routine. C’est leur souci du détail qui a fait leur réputation dans les agences de clients mystère. Direction, le château de Vaux-le-Vicomte. Pour cette visite, ils seront rémunérés 17 euros, ce qui correspond au billet d’entrée. Dans sa feuille de route, Franck doit d’abord scruter l’accès pour les personnes à mobilité réduite. « L’interaction est très bien. J’ai posé deux ou trois questions et l’hôtesse a répondu attentivement en me regardant », relève-t-il.

C’est ensuite à l’intérieur du château que les retraités insoupçonnables vont passer à l’offensive. Franck va devoir donner son avis sur le parcours immersif. « C’est super et pour les retraités, ça fait récupérer des neurones ! », lâche-t-il, tout en pointant « la peinture qui s’écaille » sur les murs. « Ça gâche un peu la visite. Si on ne signale pas, avec le temps, ça va se dégrader », argue-t-il. « On se montre critique, mais c’est pour signaler des dysfonctionnements et après quand on réalise qu’on nous a écoutés on se sent vraiment utiles », ajoute-t-il avec émotion. Si Franck et Françoise ne laissent rien passer, c’est aussi pour être les meilleurs clients et se voir confier des missions toujours plus dépaysantes. 


Virginie FAUROUX | Reportage : Loraine Canayer, Manon Heurtel et Vincent Huchot

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