Il existe, implantée dans une poignée de pays, une industrie souterraine florissante. Elle a son jargon, ses conventions internationales, ses soirées arrosées, et brasse des millions d’euros. Elle est rarement inquiétée par la justice. Pourtant, sans elle, c’est un pan de la criminalité financière qui serait bouleversé. Ce milieu interlope a un nom : le marketing d’affiliation. Il joue un rôle vital dans le vaste réseau d’arnaques aux faux placements sur lequel Le Monde et 34 rédactions ont enquêté, pendant plusieurs mois, dans le cadre du projet « Scam Empire ».
« Scam Empire », une enquête internationale sur les mafias des escroqueries aux faux placements
Durant plusieurs mois, un consortium international de trente-quatre médias, dont Le Monde, a enquêté sur les mafias des arnaques aux faux placements. Le projet « Scam Empire », coordonné par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, a pu avoir accès à 1,9 téraoctet de données internes de deux organisations criminelles spécialisées dans ces escroqueries, obtenues par la télévision publique suédoise SVT et partagées avec le consortium et l’ONG Qurium.
La première, AK Group, opère de trois centres d’appels à Tbilissi, la capitale de la Géorgie, et a extorqué pour un total d’au moins 35,3 millions de dollars (environ 33 millions d’euros) des personnes de plusieurs pays, entre mi-2022 et 2025. La seconde, baptisée « Réseau Saphir », a dérobé au moins 240 millions de dollars, dont environ 2,9 millions de dollars à des victimes françaises, depuis 2021. Plus que les sommes, ces documents montrent, pour la première fois, les rouages internes de ces opérations criminelles.
Le travail de ces sociétés ? Récupérer, chaque jour, des numéros de téléphone de victimes potentielles pour les revendre ensuite aux centrales d’appels qui se chargeront de les escroquer en les poussant à placer des sommes considérables qu’elles ne reverront jamais. Pour ce faire, les acteurs du marketing d’affiliation – appelés « affiliés » dans le milieu – diffusent des centaines de publicités en ligne et des faux articles de presse vantant des investissements miraculeux dans la cryptomonnaie, généralement en usurpant l’identité de personnalités, comme la journaliste Elise Lucet ou le milliardaire Bernard Arnault. Un seul objectif : convaincre des internautes de laisser leurs coordonnées.
Ce travail a un prix. Renaud (le prénom a été modifié), un médecin français contacté par Le Monde, a perdu plus de 430 000 euros chez BlancInvest, une marque frauduleuse d’investissement. Son premier dépôt de 500 euros, réalisé en mars 2024, a été facturé 850 dollars (environ 800 euros) à la centrale d’appels par WickAds, une société de marketing fantoche dont les faux articles et publicités ont permis de récupérer et de vendre ses coordonnées.
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