La récente commémoration de la découverte du camp d’Auschwitz il y a quatre-vingts ans a été l’occasion de revenir, dans des entretiens avec des historiens et historiennes, sur l’histoire des camps de concentration nazis, de leur découverte par les troupes soviétiques et de la lente et irrégulière publicisation dont ils ont fait l’objet. Ont aussi resurgi les récits des survivantes et survivants des camps, qui s’éteignent les uns après les autres. Ces récits individuels, pris séparément et ensemble, constituent les piliers d’une mémoire à la fois collective et conflictuelle. Mais ils ne sont pas seulement des objets historiques.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La découverte d’Auschwitz à travers les archives du « Monde »

Michael Pollak s’y est penché en sociologue, pour s’interroger sur « le maintien de l’identité sociale » dans ce qu’il désigne comme « une expérience extrême ». L’ouvrage publié en 1990, intitulé L’Expérience concentrationnaire (éditions Métailié) et devenu un classique des sciences sociales, ouvre un espace pour l’analyse des dynamiques collectives qui sous-tendent ces histoires de vie individuelles.

Michael Pollak souligne à quel point le silence apparent de certaines – il a effectué des entretiens de plus de trente heures chacun avec trois survivantes du camp d’Auschwitz-Birkenau – ne saurait être réduit à un simple oubli. Ce silence, qu’il qualifie de « gestion de l’indicible » (c’est le titre d’un article publié en 1986 dans les Actes de la recherche en sciences sociales), révèle des tensions sociales profondes : celles liées à la difficulté de transmettre des expériences qui défient les cadres ordinaires de compréhension, mais aussi à la peur du jugement ou de l’incompréhension.

Les processus sociaux de transmission et d’oubli

Le récit de Ruth A., qui se souvient et raconte son expérience des persécutions et des camps en même temps qu’elle se demande ce qu’elle « aurait pu faire ou penser », montre ainsi comment les identités « juive » et « allemande », vécues et assignées, se contredisent, se confortent et se combattent. Cette difficile articulation intime, à la fois nécessaire et encombrante, l’a incitée, après la guerre, au silence. Comment expliquer l’adaptation à la vie du camp, l’équilibre entre l’obéissance et la résistance, l’amitié, les sauvetages des unes impliquant l’abandon d’autres, le refus de l’émigration ? Il a mieux valu taire ce que l’on n’est pas sûre de pouvoir ou savoir expliquer, et se concentrer sur ce qui a constitué le moteur de la survie, à savoir la vie elle-même, les interactions sociales, le refus de la déshumanisation.

Il vous reste 37.59% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version